OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 C’est quoi l’équation idéale pour vendre sa musique? http://owni.fr/2011/03/03/cest-quoi-lequation-ideale-pour-vendre-sa-musique/ http://owni.fr/2011/03/03/cest-quoi-lequation-ideale-pour-vendre-sa-musique/#comments Thu, 03 Mar 2011 12:11:42 +0000 Anastasia Levy http://owni.fr/?p=30627 Anastasia Levy, peut-être plus connue pour certains sous le pseudo de @jokerwoman, est diplômée de l’école de journalisme de Strasbourg. Elle est l’auteur de plusieurs articles sur OWNImusic dont les très bonnes interview de Christian Scott et Nina Kinert. Elle prête notamment sa plume au magazine Usbek & Rica et tant d’autres. Elle nous offre aujourd’hui un petit bilan de ses observations sur l’industrie musicale. Comment font-ils pour s’en sortir, ces artistes? A chacun sa formule.

L’expérience de Radiohead

En 2007, Radiohead avait eu l’air de proposer le meilleur modèle possible pour vendre son album, In Rainbows. Le pay-what-you-want, un système avec lequel tout le monde était gagnant, sauf les maisons de disques, pointées comme des exploiteurs d’art, faisant leur beurre sur le dos des artistes et du public. Alors que tout le monde avait salué cette démarche, à part quelques commentateurs n’y voyant que le côté commercial, Radiohead remet tout en cause en ce début d’année et propose son nouvel album à un prix fixe. Ou à des prix fixes plutôt. Les internautes doivent dépenser au moins 7 € pour télécharger huit titres en mp3, jusqu’à 39 € pour un mystérieux futur « newspaper album » et dès à présent les titres en .wav. Thom Yorke avait prévenu dès 2008 (interview dans The Hollywood Reporter) que la distribution d’In Rainbows était une réponse unique à une situation particulière (après leur bataille pour se séparer d’EMI), mais tout le monde autour martelait (par ici ou par là) que ça avait été particulièrement bénéfique pour eux, au moins par les retombées externes à l’album (concerts, réputation, impact même de l’album sur l’industrie de la musique). Radiohead revient aujourd’hui dessus, expliquant que c’est une « progression logique ».

Mais de logique, personne ne peut parler aujourd’hui, dans l’industrie de la musique. Chacun y va de son innovation plus ou moins intéressée/intéressante, mais aucun modèle ne s’impose finalement. Alors que se développent difficilement des lieux de rencontre et de dialogue pour les acteurs qui veulent se poser la question de l’évolution de ce marché (voir, par exemple, le bilan de MusicNet.works) la tendance est encore à l’opposition, du simple mépris aux procès qui durent des années (majors contre plateformes de téléchargement, majors contre artistes, artistes contre plateformes, et même pire, artistes contre public).

Ce n’est évidemment pas parce que Radiohead l’a abandonné que le pay-what-you-want est mort. Si le groupe d’Oxford est le poil à gratter des majors, Nine Inch Nails est leur cauchemar. Pas question pour le groupe de repasser à une autre formule que le pay-what-you-want pour le groupe de Trent Reznor qui avait, à l’époque où ils étaient chez Universal, appelé leurs fans à voler leurs albums, et fait l’apologie du site de « piratage » Oink.

Le DIY et le crowdfunding

Ce système ne marche pas, comme on pourrait le croire, qu’avec des groupes déjà bien installés. Il a récemment permis à de petits groupes de faire le buzz autour de leur premier album, comme les excellents Yellow Ostrich, qui proposent de « name your price » pour télécharger l’album en numérique : « Download it for free, or pay-what-you-want, its your choice ». Forts de leur démarche, qui prend plutôt bien, ils placent sur leur bandcamp un lien vers Kickstarter, site de financement par les internautes sur lequel ils proposent d’investir dans… la production de leur album en vinyl. Le groupe n’a donc rien déboursé pour leur album physique : pour qu’il soit produit, il fallait que les internautes investissent (sans retour sur investissement possible, à part un cadeau déterminé à l’avance) au moins 2500 $, objectif atteint en quelques semaines. Ca fait rêver, tant la simplicité de la démarche a propulsé sa réussite.

Le côté pratique des majors

Et pourtant, même pour les jeunes groupes, la signature sur un gros label reste un des premiers objectifs. Frida Hyvonen nous confiait récemment que sa signature chez Universal Publishing, après trois albums en production et distribution indépendantes, était un soulagement : plus d’argent et donc plus de temps pour créer et pour enregistrer. C’est effectivement encore là que les moyens de production sont concentrés, et que les artistes sont chouchoutés. On comprend ainsi que les gros, type Daft Punk ou Dr Dre ne cherchent pas à se séparer de ceux qui leur offrent sécurité et visibilité (voire matraquage médiatique).
Et le rapport de force s’inverse : les maisons de disques signent aujourd’hui des contrats qui bénéficient plus aux artistes qu’avant. Les labels sont devenus les employés des artistes.

Par ailleurs, les majors ont développé ou racheté des labels spécialisés ou indie, comme Blue note (label jazz d’Herbie Hancock ou John Coltrane) chez EMI, ou Nonesuch chez Warner, qu’ils tiennent à bout de bras. Besoin d’une caution artistique ? Peut-être, mais personne ne peut nier que c’est bénéfique pour les artistes. Mais…aussi pour les majors, qui évitent ainsi de prendre les risques nécessaires à la vitalité du monde musical. Au lieu de produire des artistes non calibrés pour le marché, elles exploitent les catalogues de ceux qui ont pris ces risques.

Des labels qui pèsent

De trop rares exemples prouvent que la signature sur un label indé n’empêche pas un tel succès : Arcade Fire, sur Merge records, connaît un succès phénoménal, tandis que récemment Vampire Weekend, sur XL’s recordings, voyait son album Contra devenir n°1 des charts albums aux Etats-Unis. XL ne sort pourtant que…six albums par an, et signe un nouvel artiste par an : le choix de l’hyper-spécialisation. Richard Russell, le PDG du label confiait au Guardian : « On refuse 200 000 démos par an. En gros, on dit non à tout, et même à plein de grands artistes. Il faut une dose de courage pour faire ça. C’est une philosophie anti-commerciale ». Russell évite les dépenses inutiles (des clips ? pour quoi faire…) et ne dépense jamais plus que ce qu’il a… Un modèle simple et payant.

Certains musiciens refusent encore de traiter les questions bassement matérielles de distribution et de se poser même la question de l’avenir de l’industrie dans laquelle ils vivent. Est-ce déshonorant de parler d’autre chose que d’art ? Ceux qui le font sont en général attaqués là-dessus (voyez les dizaines de critiques de Radiohead…), alors que ça ne suppose absolument pas de mettre de côté l’aspect musical.
Toute l’industrie de la musique s’agite depuis une dizaine d’années déjà pour savoir quel modèle ressortira vainqueur du séisme de la gratuité. Mais la réponse sera peut-être dans l’hétérogénéité, chaque groupe définissant son modèle personnel comme une partie de sa personnalité.

Crédits photos CC flickr : dunechaser, dullhunk, superde1uxe

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Nina Kinert : la Force est avec elle http://owni.fr/2010/12/17/nina-kinert-la-force-est-avec-elle/ http://owni.fr/2010/12/17/nina-kinert-la-force-est-avec-elle/#comments Fri, 17 Dec 2010 07:00:53 +0000 Anastasia Levy http://owni.fr/?p=28882 Anastasia Levy est une jeune journaliste spécialisée dans les domaines de la musique, du cinéma et de la culture. Elle collabore notamment à Libération et Usbek & Rica. Vous pouvez la retrouver sur Twitter ici.

Nina Kinert était l’invitée, pour deux soirs consécutifs, d’ÅÄÖ, le festival des musiques actuelles suédoises. L’auteur-compositeur-interprète de 27 ans vient de sortir son quatrième album, Red Leader Dream. Après avoir joué les folkeuses pendant deux albums (« J’étais ce qu’on attendait d’une jeune Suédoise à ce moment-là : une fille, avec une guitare, qui raconte des histoires avec un air grave »), elle semble enfin avoir réalisé l’album qui lui ressemble. Red Leader Dream est censé être…un script audio pour un septième épisode de Star Wars. Largement influencée par la saga de Lucas, qui l’a accompagnée depuis qu’elle est toute petite, Nina Kinert aime profondément son univers, et s’y reconnaît. En musique, elle est marquée par les voix de Kate Bush et Stevie Nicks, et adore la dream pop de Cocteau Twins. Elle voudrait créer un genre musical appelé « science-fictional-fantasy pop ». J’ai donc décidé de lui faire…une interview Star Wars, appliquée à la musique.

Vendredi matin, lendemain de son concert à l’Institut suédois. Quand j’arrive, elle m’attend devant un café. Affable, le sourire aux lèvres, on discute pendant que je m’installe. Nina Kinert ne fait pas la conversation, elle est naturelle : « C’est votre première neige ? Depuis qu’on a commencé la tournée, partout où on passe, on arrive avec la première neige ».
Je lui explique que j’aimerais faire une interview qui prenne en compte son univers. Que j’ai préparé des questions posées par les personnages de Star Wars, s’ils avaient fait partie de l’industrie musicale. De bonne composition, elle me répond :« Ok, cool », sans bien savoir ce qui l’attend.
« On va commencer avec un facile, puisque son statut est le même dans Star Wars et dans l’industrie de la musique… »

Han Solo : Si je peux accéder à des millions de chansons gratuitement sur Internet, pourquoi je paierais pour ? «Tu vois qui je suis ? »

Nina : [Elle rit] Ahah, ok, Han est le pirate !

[Elle comprend tout de suite le principe, et répond instantanément].

Je ne sais pas trop, c’est compliqué, j’aime beaucoup le fait qu’on ait accès à toute cette musique. Mais si on veut continuer à avoir autant d’artistes, un tel choix, il faut trouver un moyen pour les rémunérer… Sûrement un moyen différent de ceux qui existaient jusque-là, mais je ne sais pas lequel ! Je n’ai pas la réponse.

Han : Je crois que personne n’a la réponse, mais pourquoi ce serait à moi d’en payer le prix ? Quand Jabba me demande de l’argent, je n’ai pas l’impression qu’il soit beaucoup plus vertueux que moi…

Nina : Ahah, c’est sûr que Jabba, c’est le plus gros escroc de tous… Mais attends…c’est qui Jabba ? L’artiste ?

Han : Euh non, les majors.

Nina : [Elle rit] C’est vrai que les majors ont bien profité de la situation, des artistes et du public, pendant des années. Mais ça reste difficile pour les petits. Moi, j’ai mon propre label, Ninkina Recordings, et si tout le monde télécharge ma musique…ça va être difficile de continuer. Je peux toujours jouer live, mais ça ne rapporte pas beaucoup.

Jabba The Hut : Je déteste quand Han essaye de m’arnaquer. Mais je me fous de faire ce qui est bien ou pas. Je veux continuer à gagner de l’argent facilement. Tu crois vraiment que vous, les artistes, allez finir par me mettre en échec ?

Nina : Ben je crois que c’est déjà le cas… De plus en plus d’artistes ont leur propre label, je crois que ça ne marche plus si bien pour vous, les majors. Vous survivez, parce que vous aurez toujours les Rihanna, Pink…

Princesse Leïa : Je suis connue, j’ai du talent, et on me respecte. J’ai trouvé une bonne solution, qui respecte mes principes, et mon peuple. Tu ne penses pas que tout le monde devrait prendre exemple sur moi… ?

Nina : Tu es…Radiohead ?

Leïa : Exact. Ou Trent Reznor.

Nina : Oui, l’idée du « pay what you want » est une bonne idée, je ne peux pas le nier. Mais bon, c’est plus facile à faire quand t’es Radiohead que quand t’es Nina Kinert hein. Je ne sais pas trop comment ça marcherait pour des « petits ». Et ça pose la question de la valeur de ce qu’on fait, la valeur de notre musique. Si on a mis du temps à réaliser un album, que vaut-il ? A-t-il une valeur minimum ?

Luke Skywalker : Je suis un peu perdu. J’aimerais faire ce qui est bien, mais je vois bien que c’est plus facile d’opter pour le côté obscur, la solution illégale. Tu aurais un conseil pour moi ?

Nina : Tu es…le consommateur ? Le public ? Quel conseil je pourrais te donner… Je crois que ça n’est pas trop grave de télécharger un album, et si tu l’aimes, de l’acheter ensuite. Et si tu ne l’aimes pas, t’es pas obligé de le crier sur les toits… (elle rit).

Luke : Mais pendant des années, j’ai l’impression que tout le monde m’a menti. On m’a un peu pris pour un idiot non ?

Nina : Pourquoi tu as cette impression ?

Luke : Ben dans les années 90, il y avait cette culture du single par exemple, sur lequel on faisait un effort, pour finalement essayer de te vendre un album avec une seule chanson correcte dessus…

Nina : Oui, c’est possible, mais j’ai l’impression que ça n’est plus tellement le cas. Maintenant, de toute façon, tu peux acheter juste les pistes que tu aimes sur un album…ça change la donne. Et puis tout ça c’est une question de goût. Ça n’est pas à moi de dire, « ça c’est bien » et « ça c’est mal ». Chacun fait selon sa conscience, et les possibilités qu’il a.

Dark Vador : J’ai un pouvoir immense, que j’ai conquis en n’étant pas un modèle de vertu, bien au contraire. Pourtant, plein de gens me suivent, parce que j’ai les gadgets les plus cools [elle acquiesce] et qu’ils ont peur d’être rejetés s’ils prennent une autre voie, tout en sachant que ça n’est pas la meilleure.

Nina : … Je n’ai aucune idée de qui tu es !

Dark Vador : Je suis Steve Jobs…

Nina : Ah ah, c’est vrai qu’il est fort. Il a réussi à instaurer un système, où si tu as ça, tu dois avoir ça, puis ça, puis ça. Et ça a marché, puisque j’ai moi-même un iPod, un MacBook…

Dark Vador : Tu as entendu parler de la licence globale, que j’aimerais mettre en place ? Le client paierait un forfait, et il pourrait télécharger toute la musique qu’il veut.

Nina : Ce serait bien, mais je ne vois pas tellement comment ça pourrait marcher, au niveau mondial, avec tous ces droits différents.
Vous avez Spotify en France ? C’est une très bonne idée, pas assez poussée. Ça reste encore très limité par les accords avec les labels par exemple. Ce serait bien qu’on puisse écouter la même chose partout dans le monde. Mais les artistes sont payés à chaque fois qu’on les écoute, c’est une bonne chose.

La force : Je suis partout. Tu ne peux pas sous-estimer mon pouvoir. Tu peux m’utiliser intelligemment, ou me mépriser, mais je peux t’être d’une grande aide. Je peux avoir une influence énorme…

Nina : Euh… [pas convaincue]… la musique ?

La force : Non, je suis les réseaux sociaux, Internet.

Nina : Aaah. À vrai dire, je n’ai pas de twitter, j’ai facebook et un myspace, comme tout le monde. J’arrive pas trop à être sur Internet tous les jours, ne serait-ce que pour des raisons techniques, en tournée. Ça n’est pas toujours facile d’avoir accès à la force ! Mais quand on y réfléchit un peu, c’est incroyable : le fait de pouvoir interagir avec les gens comme ça. Quand je poste une chanson, un mec à l’autre bout du monde peut l’écouter, et me dire ce qu’il en pense…

Tu as vu le nouveau myspace ? Ce qu’ils ont fait ? Ils essayent d’imiter facebook je crois, mais c’est raté. Ils ont tout mélangé. Hier j’ai essayé d’ajouter une chanson, j’ai pas trouvé comment faire… Bon j’ai pas essayé longtemps, mais avant c’était bien plus intuitif. Sur certaines pages, tu ne retrouves même plus le player…

Obi-Wan Kenobi : Pendant des années, j’étais indispensable, les gens me réclamaient, j’étais là pour eux. Et petit à petit, ils m’ont oublié. Un jour, Luke, nostalgique d’un temps qu’il n’avait pas connu, a décidé de venir me chercher, alors que tout le monde m’avait oublié, que je m’enracinais sur Tatooine.

Nina : [Elle fait un grand sourire] Tu es…le vinyle ? J’adorerais sortir un album en vinyle. Les gens qui achètent des albums ont envie d’acheter de beaux objets, plus que des cds… C’est bien normal. Je pense qu’à l’avenir, il ne restera plus que les fichiers numériques et les vinyles.

Crédits photos : FlickR CC christoph!; djenvert; myrrh ahn

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Qu’en pensent les grands de la Nouvelle Orléans? http://owni.fr/2010/11/20/quen-pensent-les-grands-de-la-nouvelle-orleans/ http://owni.fr/2010/11/20/quen-pensent-les-grands-de-la-nouvelle-orleans/#comments Sat, 20 Nov 2010 09:36:31 +0000 Anastasia Levy http://owni.fr/?p=28125 Anastasia Levy est une jeune journaliste spécialisée dans les domaines de la musique, du cinéma et de la culture. Elle collabore notamment à Libération et Usbek & Rica. Vous pouvez la retrouver sur Twitter ici.

Christian Scott, 27 ans, est très certainement le trompettiste de jazz le plus brillant aujourd’hui. Neveu du saxophoniste Donald Harrison, très ancré dans la tradition du jazz de la Nouvelle-Orléans, il dépasse toutes les barrières que de simples critiques pourraient mettre sur son chemin. Quand il parle de ses musiciens de référence, c’est plus souvent Bob Dylan et Jimi Hendrix qui reviennent qu’un classique Miles Davis. Ce qui ne l’a pas empêché d’être appelé par Marcus Miller pour “jouer le rôle” de celui qui régna sur le monde de la trompette pendant 30 ans, pour la tournée “Tutu revisited”, en 2009. Depuis, Christian Scott a sorti son quatrième album solo, Yesterday you said tomorrow, et a encore fait un pas supplémentaire pour sortir de l’ombre de celui auquel on ne cesse de le comparer. En 2010, en plus d’un album et de deux tournées avec son groupe, le jeune homme a pris le temps de répondre à l’invitation de Thom Yorke à le rejoindre sur la tournée d’Atoms For Peace. Le leader de Radiohead dont il a d’ailleurs repris un des titres, The Eraser, comme pour affirmer qu’il n’avait pas fini de nous surprendre. Il se balade du jazz, aux sons hip hop, en passant par le rock avec une étonnante simplicité.
Christian Scott est un garçon moderne, simple et gentil, militant, passionné de mode et de hip hop et assez populaire pour passer chez Jimmy Fallon ou Jimmy Kimmel. Il a par ailleurs directement inspiré un des personnages de la série Treme, Delmond Lambreaux, et a donné des cours à Mickey Rourke pour son interprétation d’un trompettiste dans Passion play. Il ne s’arrête jamais d’être passionné, quoi qu’il fasse, même une interview.


Que penses-tu des gens qui téléchargent ta musique illégalement ?

Ça ne me pose pas de problème. Pour moi, la musique est une expérience que je partage avec les gens ; il y a une relation entre l’ artiste et le public. Si on ne vivait pas dans une société dans laquelle l’ argent était aussi important, je la diffuserais gratuitement. Mais c’ est compliqué si on veut réussir à vivre de sa musique, et c’ est pour ça qu’on est presque tous obligés de faire payer pour les CD et les téléchargements. Mais le téléchargement illégal ne me pose vraiment pas de problème, je vois même ça comme une sorte de relation amoureuse.
Quand tu sors avec quelqu’un, tu ne vas pas lui demander de l’ argent en échange de ce que tu apportes à la relation, il ne devrait pas payer pour sortir avec toi, tu vois ce que je veux dire ?
Pour moi, la musique, c’ est la même chose. En plus je suis du genre à filer pas mal de musique gratos. J’ ai des coupons de téléchargement dans mon sac, qu’ on offre à la fin des concerts. C’est pas une question de business ou de capitalisme, on fait ça pour toucher les gens. Pour moi le problème c’ est que les maisons de disques ne comprennent pas la psyché humaine. Quand l’ Homme a besoin de quelque chose, si tu lui compliques la tâche, il finira toujours par trouver un autre moyen de se le procurer. Je vais faire un parallèle : si tu es pauvre, tu aurais beau être très religieux, très pieux, à la fin de la journée si tu as faim mais que tu n’as pas les moyens d’acheter à manger, tu finirais probablement par voler ta nourriture.
Plein de gens vont te dire que c’est des conneries, mais j’ai grandi à la Nouvelle-Orléans et quand tu as vu les choses que j’ ai vues, tu sais que si un mec a faim, il va faire tout pour manger. C’ est pareil avec la musique, les gens en ont besoin pour leur santé mentale. Ça n’ est pas juste du bruit, ça touche bien plus qu’ on ne le pense. C’est pour ça qu’on se sent d’une certaine manière quand on écoute certaines chansons, tout ça est connecté. Et si tu prives quelqu’un de ce dont il a besoin, ou de ce dont il pense avoir besoin pour survivre, il va trouver un moyen de se le procurer.

Penses-tu que l’industrie de la musique, telle qu’elle existe aujourd’hui, a un avenir ?

Je viens de voir « The Social Network » et il y a ce type, Sean Parker, qui a créé Napster et qui raconte comment il a détruit l’ industrie de la musique. C’ est intéressant parce que pour moi, ce film montre l’anarchie à échelle réduite. J’ai l’impression que tout ce qui se passe aujourd’hui avec le téléchargement et l’ évolution de l’ industrie musicale, ça a mis un peu tout le monde sur un pied d’égalité. Ça a permis à des groupes qui ne sont pas signés chez de grandes maisons de disques ou qui ne sont pas assez « commerciaux » pour un comptable ou un label, de contribuer au « canon » de cette génération de musiciens. Et grâce à ça, le paysage musical aujourd’hui est plus étendu que jamais.
Je suis chez une major mais je suis un musicien de jazz, donc j’ ai une sorte de vision d’ensemble du sujet. Ma musique est plus proche de l’indie, en fait. Je vous parie ma carrière que l’industrie musicale ne restera pas comme elle est aujourd’hui ; elle va changer, et de manière radicale. De toute façon, ces grandes maisons de disques ont beaucoup d’argent et de ressources, et je pense qu’ elle finiront par trouver un autre moyen de manipuler les artistes et de se faire de l’ argent en abusant des gens. Ça craint et je n’approuve pas cette manière de faire, mais en même temps je comprends leur mode de pensée. Ils se fichent des conséquences de leurs actes, et ils n’ont aucune espèce de morale dans la manière dont ils traitent les artistes et les auditeurs. Ces gens-là qui détiennent des millions de dollars vont trouver un moyen d’empêcher leurs artistes de partir.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Pourrais-tu distribuer un album comme Radiohead l’a fait avec In Rainbows ? (ndlr : En 2007, le groupe a sorti son album via son site internet en laissant le choix à ses fans de fixer le prix auquel ils voulaient l’acheter).

Oui, carrément. En fait je suis en train de monter un nouveau label, Harmony American Music, sur lequel on va sortir les disque de Matthew Stevens, le guitariste de mon groupe, de Jamire Williams, mon batteur, de quelques MC de New-York, et de chanteurs soul. En ce moment on est en train de réfléchir au processus de distribution, mais ouais, ça me plairait de faire quelque chose comme ça. C’ est génial pour la musique en général de dire : « Tiens, prends, et donne ce que tu peux en échange ». J’ ai déjà travaillé avec Thom Yorke, on a fait cette tournée ensemble avec Atoms For Peace aux Etats-Unis, et c’est quelqu’un d’incroyable.
On a beaucoup discuté, c’ est un musicien passionné, un artiste qui bouillonne d’idées, un mec brillant. C’était génial d’avoir la chance de travailler à ses côtés. Quand il m’ a invité à les rejoindre sur la tournée, je tournais déjà avec mon propre groupe, donc je n’ ai joué avec eux que cinq fois, mais c’ était incroyable.

Tu as repris The Eraser, de Thom Yorke, sur ton album. C’était naturel pour toi de reprendre une chanson électro ?

Complètement ! En fait je ne perçois pas la musique de cette manière, je la vois comme je vois les gens. Les gens peuvent te rendre heureux, triste, te blesser… Quand j’écoute de la musique plutôt positive, je m’y mets à fond, et j’ essaie d’ en apprendre le plus possible. Pour moi la musique c’est ce qui fait que le monde tel qu’il est, et si elle a un effet positif, alors ça m’ intéresse. Ça peut être de la polka, ça peut être n’ importe quoi si je pense que la personne qui la fait la fait avec son cœur, et si cette musique doit faire bouger les choses, ou aider les gens à surmonter des épreuves.

Qu’est-ce que tu penses de la dématérialisation de la musique ?

Je suis né dans les années 80 et à l’ époque, c’était cassette ou CD. Mon grand-père avait une collection de plus de 7,500 disques de jazz et j’ ai grandi en écoutant des vinyles, donc je préfère avoir quelque chose de tangible dans les mains. Mais je fais partie d’une génération de paresseux donc ça m’arrive d’aller sur iTunes, d’acheter des morceaux, et ça me va aussi. Ça dépend du genre de musique en fait, si c’est le nouvel Arcade Fire, ça ne me dérange pas de ne pas l’ avoir dans les mains. Mais si j’ achète Charlie Parker with strings ou Blonde on Blonde de Bob Dylan, je préfère l’ avoir en vinyle ou en CD, parce qu’ à un moment, je vais avoir envie de les transmettre à mes enfants. Offrir des morceaux iTunes à quelqu’un, ça n’a rien à voir. C’est quelque chose qui compte beaucoup pour moi. J’ ai Blonde on Blonde en vinyle, et je peux écouter « 4th time around » encore et encore. Ma chanson préférée de Dylan c’est « Only A Pawn In Their Game ». Un jour, un journaliste qui m’interviewait a cru m’ insulter en me disant que j’ étais le « Bob Dylan du jazz ». J’ ai explosé de rire et je lui ai répondu : « C’ est le plus beau compliment qu’on puisse me faire ! ».

Comment vois-tu ta présence sur les réseaux sociaux, Twitter, Facebook ?

C’ est assez bizarre, parce que je suis quelqu’un de plutôt secret. Je suis en tournée 10 mois par an, et quand je suis chez moi je passe du temps avec ma famille, avec les gens que j’ aime. Quand je suis sur la route j’ai des journées de dingue et je n’ ai pas vraiment le temps d’ aller sur Facebook. Je reçois une cinquantaine de mails par jour ; du producteur, du manager, du manager de la tournée… Sans parler des mails persos. J’ aime bien aller sur Twitter et Facebook, mais je n’ aime pas trop l’ idée que tout le monde sache le moindre truc sur toi.
Mon manager, mon agent, les distributeurs me disent : « Putain, mais tu devrais avoir 50 000 followers sur Twitter », mais ça ne m’ intéresse pas vraiment. Mes amis Facebook et moi on ne s’apporte pas grand chose, en vrai.

Peux-tu m’expliquer le titre de ton dernier album : « Yesterday you said tomorrow » ?

À force d’expérience, de voyager, d’ être un « citoyen du monde », j’ ai réalisé que dans le monde entier des gens se battent pour être entendus. J’ aime rencontrer les gens, leur parler, et tout le monde semble avoir quelque chose à dire sur un truc qu’ on leur a imposé, quelque chose qui aurait dû changer dans leur vie mais qui est resté le même. Je voulais faire un album pour dire que c’ est maintenant qu’ on doit changer les choses. Chaque génération a ses propres problèmes, mais s’il y a une chose qui reste immuable c’ est cette dynamique entre le prolétariat et la bourgeoisie, entre ceux qui ont et ceux qui n’ ont pas. Ceux qui n’ ont pas se sont toujours battus pour avoir des droits et pouvoir faire ce que les nantis font sans se poser de question. Mon message c’était: « Ça fait des dizaines d’années que vous avez promis de régler ces problèmes. Il est temps d’ agir car nous n’ allons plus vous laisser faire ».
L’autre explication, ça a à voir avec mon grand-père. Quand on était petits avec mon frère jumeau, il nous forçait à lire tous les jours. Il nous faisait lire La Dialectique d’ Hegel, l’ autobiographie de Malcolm X, L’ Homme révolté de Camus… Tous les matins, il nous demandait ce qu’ on avait lu, ce qu’ on en avait pensé, et on échangeait nos idées dessus. Si on n’ avait pas encore fini notre livre, notre grand-père disait : « Hier tu disais demain » (Yesterday you said tomorrow).

Peux-tu me parler de ton style et de ton évolution musicale ?

Mon oncle est saxophoniste, Donald Harrison Jr. Quand j’ étais petit, je voulais tellement être tout le temps avec lui que j’ ai décidé de commencer la trompette. Quand tu côtoies de telles pointures, Donald ou Wynton Marsalis, tu apprends des choses qu’on n’apprend pas dans les écoles de musique. C’ est bien plus que des notes. À cause de mes origines, la plupart des gens s’ attendaient à ce que mon premier album soit dans cette lignée, du jazz classique. Mais ce que je voulais c’ était faire quelque chose qui intéresserait notre génération. J’ ai eu la chance de voir mon premier album nommé aux Grammy Awards, ça a facilité beaucoup de choses.
Mais j’avais envie d’ essayer de créer une palette et synthétiser un son lié à cette génération.
Au fil des cinq albums suivants, j’ ai juste cherché à peaufiner cette palette, ce son, ces concepts et ces idées. En fait ce qu’on essaie de faire c’est créer des palettes et travailler avec des textures, des sons et des contrastes qui donneront à la prochaine génération de jazzmen différentes brèches où s’ engouffrer.

En 2009, tu as rejoins la tournée avec Marcus Miller, « Tutu revisited ». Avais-tu peur d’être sans cesse comparé à Miles Davis ?

Pas vraiment. Depuis que j’ ai 14 ans, les gens disent « C’ est le nouveau Miles Davis », même avant que je joue vraiment bien. D’ un côté je déteste ça, et d’ un autre, ça me flatte. Ils ne disent pas que ma musique ressemble à la sienne, parce que c’est faux, mais je crois que ce qu’ ils veulent dire, c’ est qu’ on a un peu la même approche des choses, que comme lui je cherche constamment à évoluer, à peaufiner des choses. Tous les musiciens ne sont pas comme ça ; beaucoup d’entre eux sont très bien là où ils sont. Même en créant ces trompettes (ndlr : il a deux nouvelles trompettes qu’ il a lui-même dessinées) j’ai essayé de m’ améliorer, de toucher quelque chose. Dans ce sens, j’ apprécie la comparaison. Mais Miles Davis a vécu, est mort, et a dit ce qu’ il avait à dire. Et personne d’ autre que Miles Davis ne pourra le dire mieux que lui. Tout comme personne ne pourra venir après moi et faire du Christian Scott mieux que moi. Quand Marcus m’ a appelé, j’ ai dit oui à l’ idée de tourner avec Marcus Miller. C’ est un génie, il sait diriger un groupe, il est juste et particulièrement doué pour comprendre la relation qu’ont les gens à la musique. Et je savais que ça m’ apporterait beaucoup de côtoyer un tel maître, un monsieur qui a cinquante ans mais qui est au sommet de son art. Il m’ a dit : « Écoute, je ne veux pas que tu joues comme Miles Davis. Miles Davis n’ aurait pas voulu que tu joues comme lui. Mais tu as la bonne approche. » Alors j’ ai dit oui.

Comment penses-tu que la musique devrait être enseignée ? Tu as fait Berklee, qu’est-ce que tu y as appris ?

Je pense qu’il est fondamental d’ apprendre les règles. En ne perdant pas de vue que la plupart du temps, les règles sont culturelles. Dans les conservatoires, les écoles de musique, on apprend la musique à la manière occidentale. A Bombay par exemple, le système est complètement différent. Pour moi, il est très important quand on enseigne la musique à un enfant de lui dire que ce n’est pas la seule manière d’apprendre et qu’il devrait essayer d’ en découvrir d’autres, autant qu’il peut. Comme la plupart des gens, j’ai d’abord appris à l’occidentale, et ensuite je me suis intéressé aux autres systèmes d’apprentissage. Quand tu commences le jazz à la Nouvelle-Orléans, que tu apprends avec ceux qui ont créé cette musique, dans les bars et les rues, pas à Berklee, tu comprends que la musique est comme ça parce que les Africains de la Nouvelle-Orléans ont trouvé un moyen de manipuler ce système occidental en y apportant des harmonies qui n’ existaient pas en Occident. Ils avaient plus de notes. Pour moi, les règles existent, et il faut les apprendre, mais elles sont aussi là pour être transgressées. Si tu saisis à quel point les règles sont culturelles et que tu essaies de toutes les comprendre, ça ne fera de toi qu’un meilleur musicien.
Pour Berklee, c’ est compliqué. Je ne veux pas passer pour quelqu’un de prétentieux, mais quand je suis arrivé là-bas, je me suis rendu compte que je savais mieux jouer que certains de mes professeurs. Je suis resté deux ans et j’ ai eu deux diplômes qu’ on obtient normalement en six années. J’ ai plus appris de mes pairs, c’ est ça qui est cool à Berklee. Tu peux te retrouver dans une classe avec un Algérien avec des dents en or et un mec d’ Osaka avec une iroquois, et ils ont un groupe ensemble. T’ imagines quel genre de musique peut naître de gens avec des cultures aussi différentes ? C’ est beau, je trouve ça extraordinaire. Berklee c’est le meilleur endroit au monde pour apprendre la musique, grâce à tous ces gens qui viennent des quatre coins du monde. Ce n’ est pas bien ou pas bien, on te dit « C’ est juste des sons, maintenant jouez tous ensemble ».

Peux-tu me parler des membres de ton groupe ?

Le directeur musical du groupe, c’ est Matthew Stevens, le guitariste. Il vient de Toronto, il est fantastique. On s’ est rencontrés à Berklee il y a dix ans. Il y a une sincérité dans son jeu, c’est quelque chose de plutôt inhabituel. Il a un peu dû se battre contre l’ idée débile que les blancs ne peuvent pas jouer du blues ou du jazz. Je ne suis pas d’ accord avec ça, quand je l’ écoute jouer du blues, ça n’ est pas moins du blues qu’un autre, ça vient juste d’ une expérience différente.
Mon batteur, c’ est Jamire Williams. Il joue avec une telle intensité, je l’ adore. Ce mec est une anomalie. Quand tu l’ écoutes jouer, tu te dis : « Putain mais il est en train de se passer un truc complètement dingue là ?! »
Je cherche des musiciens qui ont une psychologie particulière. Lui quand il était gamin, il était tellement doué que personne ne le comprenait, les autres se moquaient de lui. Ça l’ a poussé à travailler dix fois plus que les autres. Il connaît tout de son instrument ; tous les sons qu’il peut en tirer, tous les plus grands batteurs. On a un nouveau pianiste qui a 21 ans, je l’ ai entendu mais on n’ a encore jamais joué ensemble.
Kris Funn c’est notre contrebassiste. Il est taré, je l’ adore. Il y a tellement de blues dans son jeu, putain ce mec est le musicien le plus métissé qui aie jamais joué de contrebasse. Il joue comme s’ il venait du quartier. Musicalement, on parle le même langage lui et moi.

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Crédits photos CC flickr (photo clé): evert-jan; mitch98000; zbook

Crédits photos Droits Réservés (live @ New Morning Paris): Jokerwoman

Traduit par Anastasia Levy et Nora Bouazzouni

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