OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La société de l’interaction et de la complexité http://owni.fr/2011/02/19/la-societe-de-l%e2%80%99interaction-et-de-la-complexite/ http://owni.fr/2011/02/19/la-societe-de-l%e2%80%99interaction-et-de-la-complexite/#comments Sat, 19 Feb 2011 13:00:52 +0000 Serge Soudoplatoff http://owni.fr/?p=46736 Internet n’est pas la première technologie de l’histoire de notre humanité qui accompagne des bouleversements fondamentaux. J’ai coutume de dire que l’invention de l’alphabet est la révolution la plus proche de l’Internet, et son usage n’a probablement pas été facile à ses débuts. Il n’est pas neutre de passer d’un dessin à une série de symboles abstraits.

Mais la construction de l’Internet est aussi une manière de résoudre des problèmes. La lecture du livre L’homme et la matière d’André Leroi-Gourhan nous montre bien que l’idée de co-construction entre l’humain et l’outil est un des fondamentaux de l’humanité: « la main forge l’outil, et l’outil change l’homme. » Ce constat permet d’éviter deux écueils : la technologie Dieu, et la technologie Diable. Non, Internet n’est pas l’outil qui va rendre le monde meilleur. Mais Internet n’est pas non plus l’instrument qui pousse les enfants dans les griffes des pédophiles. Internet, comme l’écriture, est un média neutre. L’alphabet a permis de coder à la fois La Divine Comédie et Mein Kampf, des recettes de cuisines délicieuses et des livres pornographiques, Molière et Émile Henriot. Internet, de par la neutralité de son architecture, véhicule tous les paquets de manière indifférenciée.

Toutes les grandes révolutions technologiques qui ont marqué l’Humanité ont toujours été présentes parce qu’elles permettaient de franchir des étapes importantes. L’invention de l’alphabet permet aux sociétés paysannes de s’installer. L’imprimerie est un outil indispensable de la révolution industrielle, qui a besoin d’une manière simple de dupliquer à bas coût les savoirs aux quatre coins de la planètes.

Quelle est donc la société qu’Internet nous aide à créer ? On parle souvent de la société de la connaissance. Je suis dubitatif, l’humanité a passé son temps à créer, gérer, partager et utiliser des connaissances, et je ne vois pas en quoi notre monde est différent. Le partage des connaissances est, certes, rapide avec Internet ; mais en -15 000, les connaissances technologiques étaient non seulement de très haut niveau, mais elles se diffusaient en Europe de manière très rapide, comme le montre bien le livre de Sophie de Beaune Les hommes au temps de Lascaux. On parle parfois de société des médias, mais le concept de spectacle est très ancien, et de tous temps les individus se déplaçaient pour assister à des fêtes ou à des spectacles, comme le montre cet autre livre extraordinaire, Voyager dans l’antiquité, dans lequel on apprend qu’à l’Antiquité, il était très coutumier de voyager pour participer à des cérémonies « planétaires », au sens du bassin Méditerranéen en tout cas. Que la fête vienne chez soi via la télévision est une évolution, mais pas forcément une révolution, puisque l’idée de partage s’en trouve affaiblie.

Il est toujours bon de retourner aux fondamentaux. Il est souvent coutume de dire que le monde d’avant n’est pas le même que celui de maintenant, qu’il était meilleur, etc. en oubliant bien sûr tous les défauts horribles du passé. On voit toujours son paradis dans l’enfer des autres, surtout ceux d’antan.

Nous côtoyons plus de personnes, nous lisons des journaux, des emails…

À l’inverse, il est intéressant de chercher les invariants de l’humanité. Parmi ceux-ci, il y en a un qui est très amusant : le temps moyen que passe un urbain dans les transports. Il est le même à Londres, Tokyo, New-York, Los Angeles, Paris, San Francisco, il est d’une heure et demie (voir le livre Le territoire des hommes de Jean Poulit) . Donc, le RER ou les transports régionaux ne servent pas du tout à raccourcir les temps de trajet, contrairement à ce que beaucoup de décideurs déclament, ils servent à agrandir la ville. Plus intéressant : ce chiffre est le même depuis 40 ans, et les historiens disent qu’il est le même depuis le moyen-âge. En revanche, ce qui a fondamentalement changé, c’est la quantité d’interactions qui a lieu pendant cette heure et demie. Nous côtoyons plus de personnes, nous lisons des journaux, nous écoutons de la musique, nous recevons des textos et bientôt des tweets, nous lisons nos emails, etc.

Voici une véritable rupture : depuis 60 ans, la population mondiale est passée de 2 à 6,5 milliards d’individus. À l’échelle de l’humanité, la progression est vertigineuse.

Les êtres humains étant, pour la plupart, des animaux sociaux, ne vivent que parce qu’ils interagissent. Et voici donc le problème qui se pose : comme gérer une multitude d’interactions ? C’est la propriété d’un système complexe, que d’avoir de multiples interactions, parce qu’à chaque instant, le champs des possibles est immense.

Nous sommes donc rentrés dans une nouvelle société, que je propose d’appeler « la société de l’interaction et de la complexité » .

Pour gérer cette société, nous avons besoin d’un outil qui nous permet de rester efficace, et de ne pas nous laisser déborder par la complexité du monde. Ce n’est pas pas hasard si Internet s’installe. À ceux qui me disent qu’ils croulent sous la complexité, je répond qu’Internet est la solution, à condition de l’utiliser correctement, c’est-à-dire de changer nos comportements, nos structures, pour nous adapter. Chaque fois qu’un PDG me dit « comment je fais pour gérer toute l’information qui m’écrase ? », je répond que ce n’est plus à lui de gérer cette information, mais qu’il doit transformer son entreprise pour la mettre dans un mode d’intelligence collective, seule forme d’organisation capable de gérer la complexité.

Nous sommes encore en situation d’apprenant de l’Internet. Gardons-nous bien de détourner, ou de détruire, ce merveilleux outil. Il est la condition d’un monde vivable pour nous, et pour les générations à venir, qui seront encore plus dans l’interaction et la complexité.

Article initialement publié sur le blog de Serge Soudoplatoff

Photo Flickr CC Domenico Nardone

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Business model de l’Internet: des moments noirs à venir ? http://owni.fr/2011/01/24/business-model-de-l%e2%80%99internet-des-moments-noirs-a-venir/ http://owni.fr/2011/01/24/business-model-de-l%e2%80%99internet-des-moments-noirs-a-venir/#comments Mon, 24 Jan 2011 17:32:08 +0000 Serge Soudoplatoff http://owni.fr/?p=43577

Nous avons de la chance en France, grâce à Free, qui a forcé les opérateurs de télécommunications traditionnels à adopter des modèles tarifaires forfaitaires, non basés sur l’usage.

Comment cela est-il possible ? Il faut rappeler l’un des papiers fondateurs de l’Internet, si ce n’est le premier, publié en 1961 par Leonard Kleinrock, “Information flow in large communication Nets“.

Kleinrock s’intéressait à un problème simple : quel est le meilleur protocole pour faire communiquer deux ordinateurs entre eux ? Après avoir étudié les protocoles des opérateurs de télécommunication, il a conclu que ce n’était pas un bon paradigme, et sa thèse a porté sur le choix du paquet plutôt que de la commutation.

Pour dire les choses simplement, les protocoles des opérateurs de télécommunication sont basés sur le paradigme du train : la voie est ouverte et réservée, donc le train passera sans encombre. C’est la même chose avec le téléphone traditionnel : même s’il n’y a pas de voix sur la voie, celle-ci est réservée. À l’inverse, le protocole par paquet est basé sur le paradigme du camion : les messages sont mis dans des paquets qui sont mis dans des camions qui empruntent soit la route, soit l’autoroute, etc.

Économie de l’abondance vs économie de la rareté

On voit tout de suite l’importance du choix. Les protocoles de télécommunication sont basés sur une économie de la rareté : lorsque le nombre de communications atteint le nombre de canaux d’une antenne 3G, alors plus aucune communication supplémentaire ne passe, sauf à « virer » l’une des communications (ce que, semble-t-il, les opérateurs 3G font, sans franchement en faire de la publicité ; cela se nomme « les classes de service »). À l’inverse, le protocole par paquet est basé sur une économie d’abondance : jamais on ne refusera l’accès à l’autoroute sous prétexte qu’il y a trop de voitures. Tout au plus, le gestionnaire fera de la régulation de trafic. C’est la même chose dans le monde Internet, jamais des paquets ne sont refusés, sauf à vraiment atteindre la saturation absolue. Heureusement, jusqu’à présent, toutes les prédictions d’effondrement du réseau se sont révélées fausses. On le sait aussi dans l’économie du disque, le mp3 est dans une logique d’économie de l’abondance, alors que le disque est dans une logique d’économie de la rareté.

Le propre d’une économie de la rareté est de fournir de la très haute qualité, ce que les opérateurs nomment « la qualité totale » ; son inconvénient est d’être très chère de manière indifférenciée. Le propre de l’économie d’abondance est d’être efficace. Elle rationalise l’usage des moyens, elle profite de coûts de duplication faible. Son inconvénient est qu’elle privilégie le concept de « best effort » au détriment d’une garantie de service. La structure même de l’Internet, qui est « un réseau de réseau » et pas un réseau unique, est basé sur un jeu de LEGO. Des entreprises font des routeurs, d’autres des navigateurs, d’autres des moteurs de recherche, d’autres des réseaux sociaux, et tout ceci concoure à une économie à faible coût, chacun restant dans son domaine. Toute tentative de gérer l’ensemble des services de l’Internet s’est d’ailleurs soldée par un échec : AOL Time-Warner, Vivendi Universal, sont autant de rêves mégalos qui n’ont abouti qu’à des dépenses inutiles.

L’impact du modèle économique sur les usages est fondamental. Prenons l’exemple du stockage : à moins de 50 euros « street price » le téraoctet, le coût de stockage d’un fichier est ridiculement faible, donc sa duplication ne pose aucun problème. Google, en créant gmail, a fait le pari de l’abondance, alors que les directions informatique des grandes entreprises sont toujours dans une logique de rareté. Résultat : il vaut mieux avoir gmail qu’un email professionnel, on ne perd pas de temps à ranger et archiver. Prenons la bande passante : avec des offres forfaitaires illimitées, les fournisseurs d’accès sont dans une logique d’abondance ; alors qu’en faisant payer les directions informatique au volume, elles sont dans une logique de rareté. Résultat : il faut être chez soi plutôt qu’au travail pour voir des vidéos indispensables dans le cadre professionnel, ce qui est contraire au code du travail. Bref, ne nous étonnons pas si la France est un gros consommateur d’antidépresseurs.

Regardons maintenant la situation mondiale des fournisseurs d’accès. Nous avons la chance, en France, d’avoir Free. Sans Free, nous n’aurions pas d’offre triple play forfaitaire, avec des communications téléphoniques illimitées vers les fixes et les mobiles de 120 pays. Est-ce le cas partout ? Non.

En Australie, par exemple, aucun des grands ISP n’a d’offre illimité. Telstra [en], par exemple, limite l’usage, et lorsque cette limite est atteinte, baisse dramatiquement la bande passante. C’est le cas pour la grande majorité des ISP en Australie [en], avec des limites entre 2 et 200G par mois. À l’inverse, aux États-Unis, la guerre fait rage sur la baisse des prix [en], qui sont en ce moment entre 20 et 50 dollars par mois en illimité. En Angleterre [en], la situation ressemble à celle de l’Australie, avec d’une côté des opérateurs de télécommunication qui limitent l’usage, et de l’autre des nouveaux entrants qui offrent de l’illimité. En Allemagne, l’opérateur historique, T-Mobile, propose des packages illimités pour 35 euros par mois, avec possibilité de migrer vers le VDSL.

Maintenant, regardons ce qui se passe dans le mobile. En France, nous avons, sur le territoire, des offres en data illimitées. Même s’il faut faire attention lorsque l’on franchit les frontières, car le prix va jusqu’à 10 euros par mégaoctet, en fonction de règles qui sont totalement absconses, lorsqu’on reste bien franchouillard, il est possible de surfer de manière quasi illimitée. Que va faire Free en terme de modèle tarifaire lorsqu’il installera son service ? Va-t-il nous proposer des illimités dans le monde entier ou presque à bas prix ? Ou bien va-t-il se mettre dans une logique économique de rareté et facturer à l’usage ?

La tentation de la tarification à l’acte

J’ai coutume de dire que l’économie de l’Internet suit, avec une dizaine d’années de retard, celle du transport aérien. Or, les compagnies low cost, qui ont des points communs avec la logique de Free, ont toutes décidé, il y a quelques années, de faire payer les services un par un : le nombre de bagages, la priorité aux comptoirs, les kilogrammes, jusqu’à tester l’idée, émise par le PDG de Ryanair, de faire payer les toilettes, voire de faire payer pour un vrai siège, les autres étant debout. On le voit bien, la tentation est grande de revenir à une tarification à l’acte.

Cela peux-t-il se passer dans le monde de l’Internet ? J’en ai bien peur. Les fournisseurs d’accès en mobile commencent à parler d’abandonner le forfait pour aller à une tarification en fonction des données consommées. Les trois opérateurs français actuels, pour lesquels le mobile représente le revenu le plus important, ne pourront plus laisser faire un nouvel entrant avec d’autres logiques plus efficaces. Si Free arrive avec des offres forfaitaires en mobile, alors il n’y aura plus aucun gisement de revenus pour les trois autres, situation aggravée si la migration des clients est conséquente. France Telecom, qui a encore un nombre de salariés impressionnant, dont beaucoup de fonctionnaires difficilement transférables ailleurs, sera le plus touché. Étant en plus fortement syndicalisé, il est probable que 2013 verra des manifestations violentes de SUD et de la CGT, une version moderne de la révolte des canuts. Il n’est pas facile de prédire comment le gouvernement, quel qu’il soit, réagira ; mais il est sûr que les caisses de l’État, déjà très basses, ne permettront pas un modèle à la Bull, et donc France Telecom sera abandonné, sauf à avoir un gouvernement communiste dans son esprit, ce qui, hélas n’est pas impossible. Il ne restera donc que la solution d’une entente entre Free et les trois autres, sur des accords de roaming sympathiques par exemple ; la tentation sera alors grande pour Free de faire payer l’Internet mobile à l’usage. De plus, étant capable de rationaliser ses coûts, entre autres par l’utilisation d’antennes 3G sur les Freebox, Free aura une marge nettement supérieure aux autres opérateurs. Ça ne se refuse pas…

Et alors, si l’Internet mobile revient au paiement à la durée, quid du fixe ??? La tentation est grande de faire payer au volume, avec une première étape de limite supérieure, comme cela se pratique dans certains pays, comme on l’a vu.

Nous allons vivre quelques moments noirs. Les modèles économiques traditionnels risquent de revenir en force. Il faudra alors lutter, et trouver des solutions alternatives, par exemple des coopératives télécom, comme ce qui se pratique à Nuenen [néerlandais] en Hollande, au Canada, ou bien ce que fait notre ami Billaut-San à Villiers-le-Mahieu.

Je crois au modèle des coopératives télécom, pour contrebalancer les modèles économiques des opérateurs. Mais alors, que feront les ARCEP du monde entier ? Que décideront les politiques ??? Ceci est la clé. Les réseaux sont vraiment un acte politique de gestion du territoire.

Billet initialement publié sur Almatropie

Image CC Flickr R4vi

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Les liaisons numériques dangereuses http://owni.fr/2010/11/29/les-liaisons-numeriques-dangereuses/ http://owni.fr/2010/11/29/les-liaisons-numeriques-dangereuses/#comments Mon, 29 Nov 2010 07:30:18 +0000 Serge Soudoplatoff http://owni.fr/?p=37399

Lorsque je suis sollicité pour faire des conférences sur les ruptures induites par Internet, il arrive que l’on me demande de parler des dangers de l’Internet.

Cela avait commencé il y a quelques années, lorsque j’avais été demandé sur ce sujet dans une émission de télévision semble-t-il connue, animée par Delarue, « Ça se discute ». J’avais alors répondu que ce sujet n’était pas très intéressant en tant que tel, et que, paraphrasant mon ami André-Yves Portnoff, le seul grand danger de l’Internet est de ne pas y aller.

Cette émission fut d’ailleurs bizarre : une collection hétéroclite de « drames » humains. Une femme qui montrait ses seins devant une webcam; une mère dont l’enfant passait 17 heures par jour à jouer en réseau ; une enseignante qui quintuplait son salaire en se prostituant luxueusement (le lien avec l’émission ? Elle trouvait ses clients grâce à Internet…) ; une femme qui avait découvert l’âme sœur sur Meetic, et qui au bout de trois mois d’échanges d’emails passionnés, passe enfin deux heures folles à partager physiquement, les yeux bandés, avec son amant virtuel devenu réel pour découvrir au bout de ces deux heures que c’était une autre femme… Bref, la vie telle qu’elle existe depuis longtemps. J’avais d’ailleurs rappelé que, par exemple, les emails amoureux n’étaient que de pales copies des échanges entre George Sand et Alfred de Musset, ce qui avait engendré dans les yeux de Delarue un moment de découragement (« eh bien, elle est intellectuelle cette émission ! », s’était-il exclamé…).

Internet est neutre

Il faut rappeler un fondamental : Internet est un média neutre. Dans sa construction même, il avait été décidé de ne mettre aucune intelligence dans le réseau, et de reporter cette intelligence aux extrémités. La pensée originale, à savoir le peer-to-peer, avait imposé un schéma dans lequel le réseau routait avec égalité tous les paquets et ne s’intéressait pas à leurs contenus. Cette fameuse « neutralité du Net », qui fait débat actuellement, était l’antithèse des réseaux des opérateurs de télécommunication, qui encore aujourd’hui implémentent le concept de classe de service, c’est-à-dire de priorité des communications les unes par rapport aux autres. La qualité totale sur laquelle sont bâtis les réseaux de télécommunication classiques impose effectivement une logique de rareté, à savoir que la ligne est ouverte et réservée même si rien ne passe dessus, logique de rareté qui impose de faire des priorités. Internet, à l’inverse, est basé sur le principe d’abondance, et donc de partage égalitaire.

Donc, Internet transporte indifféremment ce qu’on lui injecte. La beauté passera dans le réseau sans aucune priorité sur la laideur. L’intelligence et la bêtise y sont  transportées de manière équivalente. Où se fait alors le filtre ? Aux extrémités. Ceci est vrai pour la technologie, mais aussi pour l’usage. C’est à l’utilisateur de faire la différence entre le bien et le mal. Celui qui s’intéresse au conflit du Golfe par exemple n’a aucun problème à ouvrir à la fois CNN, Al Jazeera, et un forum de discussion, et à se faire sa propre idée.

Une conséquence directe est cette proposition qu’Internet rend évidente : beaucoup de vérités sont contextuelles.

Une autre conséquence est rassurante : le réseau contient aussi l’antidote. Lors de l’émission de Delarue, le vrai drame était une femme dont la fille s’était pendue après avoir surfé sur des sites gothiques. J’ai respecté en direct ce cas, mais j’ai eu une discussion à la suite avec la mère, qui au début en voulait à Internet, pour à la fin me dire qu’elle s’en était sortie en fondant une association de parents, et qu’elle avait créé des liens avec d’autres associations dans le monde, grâce, bien sûr, à Internet.

Alors, quels sont les dangers de l’Internet ? J’en vois trois principaux.

Le premier est effectivement de ne pas y aller, d’ignorer le phénomène. De faire comme si Internet était une simple technologie, qui ne remet pas en cause certains fondamentaux. De ne se contenter que de l’email par exemple.

Le deuxième est de s’y opposer. Déclarer que Wikipedia est de mauvaise qualité, comme une de mes étudiantes me l’avait affirmé (cf. ma réponse ici). Déclarer que « dans Internet, il n’y a que des emmerdeurs », comme me l’avait dit en 2006 un directeur marketing d’une entreprise du CAC40. Sans parler des lois sur le filtrage qui ne sont pas seulement l’apanage de la France, même si nous sommes, pour une fois, plutôt en pointe sur ce sujet, hélas.

Le troisième est de ne pas se transformer. Pour aborder Internet et en tirer le meilleur, il déjà faut se former. Les élèves des écoles devraient être formés, non pas aux dangers de l’Internet, mais à son mode d’emploi. Les salariés des entreprises devraient tous avoir des cycles de formation au numérique, à l’instar de ce que fait Lippi. Puis il faut se changer, au niveau individuel mais aussi au niveau collectif. Les entreprises et les administrations doivent se mettre en mode 2.0, et tant pis si ce concept est flou, au moins il force à réfléchir. Internet s’est construit sur la base de consensus grossier, sans planification. Le résultat est deux milliards d’individus interconnectés en moins de vingt ans.

À part ces trois dangers, je ne vois pas d’autre réelle menace différente de ce que la vie nous réserve, lorsqu’elle est cruelle et brutale. Simplement, Internet est un extraordinaire amplificateur des sentiments humains, bons ou mauvais, et c’est cela qu’il faut, avant tout, retenir.

Internet, parce qu’il met en commun une intelligence qui se situe aux extrémités, est le contraire du pouvoir central qui « pense » à la place des autres. Internet, quelque part, favorise plus une éthique que la morale.

Ce n’est pas l’attitude la plus facile. Mais, pour paraphraser un moment important du film Himalaya, l’enfance d’un chef : « Lorsque deux chemins se présentent à toi, choisis toujours le plus difficile. » C’est sur ces chemins que l’on apprend le plus.

Les chemins de l’Internet sont complexes, profitons-en.

Billet initialement publié sur La rupture Internet

Image CC Flickr AlmazUK

À lire aussi Nadine Morano et Internet: “le danger est à l’intérieur de votre maison” ; Non, elles n’ont pas rencontré leur agresseur sexuel sur Internet ; Internet et les jeunes : désole ça se passe plutôt bien

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L’intérêt de l’OpenApi pour les entreprises http://owni.fr/2010/11/08/l%e2%80%99interet-de-l%e2%80%99openapi-pour-les-entreprises/ http://owni.fr/2010/11/08/l%e2%80%99interet-de-l%e2%80%99openapi-pour-les-entreprises/#comments Mon, 08 Nov 2010 16:33:03 +0000 Serge Soudoplatoff http://owni.fr/?p=34923 Le système d’information des entreprises est généralement un système fermé. Ce n’est pas forcément par crainte d’intrusion, ou de malveillance, mais parce que la philosophie de base du monde industriel est qu’il y a une vie dans l’entreprise, une vie en dehors de l’entreprise, et que la frontière entre les deux doit être simple: fermée, avec quelques points de passage bien surveillés, par exemple par une machine inventée par IBM en 1912 (l’horloge pointeuse) faisant office de système d’information, et une logique basée sur l’horaire qui permet de faire une barrière temporelle entre le dedans et le dehors.

Bien évidemment, le monde a changé. Plusieurs frontières entre l’intérieur et l’extérieur de l’entreprise, entre la sphère privée et la sphère professionnelle, ont explosé. Déjà sur le plan temporel, à part les salariés qui ont un travail posté (à peine 15% du travail actif), plus personne n’est vraiment concerné par la durée comme mesure de la création de valeur (d’où l’absurdité de la loi des 35 heures, non pas à cause du chiffre 35, mais parce que l’heure est de moins en moins une unité pertinente).

Ensuite, la capacité des entreprises à mettre partout des blocages sur leur système d’information, allant de pare-feu à l’interdiction des réseaux sociaux en passant par le blocage de toute vidéo (pire que le gouvernement Chinois…), force finalement les salariés à travailler de chez eux, où ils trouvent de bien meilleures conditions informatiques que sur leur lieu de travail.

Ouvrir les systèmes d’information

Les systèmes d’information, traditionnellement fermés, ont été bouleversés par la philosophie ouverte de l’Internet. Il a fallu quelques années avant que les entreprises ne se mettent à ouvrir partie de leurs informations sur l’extérieur; je me souviens de la révolution engendrée par UPS qui avait été innovant en décidant d’ouvrir son intranet sur le web afin de donner les dates de délivrance de ses paquets.

En 2010, il serait suicidaire pour une entreprise qui s’adresse au grand public de ne pas avoir un site web qui, a minima, offre de l’information, et au moins permet d’effectuer des transactions. Mais ceci va vite devenir largement insuffisant, et je pense que le monde de l’entreprise devrait rendre publiques les API, qui sont des interfaces de programmation, de leur système d’information.

Observons ce qui se passe dans le monde de la politique. Le mouvement de l’Open Data est né de la volonté de certains chefs d’état d’ouvrir au public les données de l’administration; ou plutôt, pour reprendre l’excellent phrase du rapport de Nicholas Gruen remis au gouvernement Australien, de passer d’une logique où « le gouvernement protège ses données, sauf s’il a envie de les diffuser » à une logique où « le gouvernement diffuse ses données, sauf s’il y a une raison impérieuse de ne pas le faire ». C’est ainsi que le gouvernement Américain a ouvert son portail de données, que ce fut aussi le premier geste de Cameron lorsqu’il fut élu, conduisant au portail Anglais, suivi par de nombreux pays ou administrations; même le gouvernement Russe a ouvert un portail rendant publiques les dépenses de son administration.

Lorsqu’un gouvernement ouvre ses données, celles-ci se présentent sous plusieurs formats, allant de simples documents pdf jusqu’à des tableurs excel. Publier des données est intéressant, mais les rendre utiles est encore mieux. La logique a donc été de passer de l’ouverture des données à l’ouverture d’interfaces de programmation permettant à des programmeurs de réaliser des applications dialoguant avec les systèmes d’informations.

Suivre l’exemple du secteur public

Le principe est le suivant: une municipalité ouvre des API sur son système d’information. Ensuite pour amorcer la pompe, elle crée un concours public, récompensant les meilleures applications utilisant ces API. La communauté est alors motivée pour créer de telles applications. L’intérêt pour une ville est multiple: elle se concentre sur son métier qui est de gérer la ville, elle n’a plus de problème de développements informatiques, puisque les applications sont réalisées ailleurs, l’argent du contribuable est finalement mieux dépensé, et les services rendus deviennent très nombreux. De plus, dans le modèle anglo-saxon, non seulement l’administration ne doit pas faire payer ses données, mais il est bien que ces données permettent au monde économique de s’enrichir… Un ensemble de municipalités a d’ailleurs décidé de standardiser ces interfaces de programmation, donnant naissance à Open311, site sur lequel on peut voir la liste des applications développées par des tierces personnes.

Le monde de l’entreprise devrait s’inspirer de ce mouvement. Prenons un cas d’école, en partant du bricolage. Les deux grandes enseignes, Castorama et Leroy-Merlin ont développé des applications iPhone. Ces applications ont coûté de l’argent, et ont forcé les entreprises à faire de l’informatique, ce qui est loin de leur cœur de métier. De plus, aucune de ces deux applications ne permet de passer commande directement des produits concernés.

Imaginons maintenant que les enseignes décident d’ouvrir leurs API. Il y aura sûrement dans la communauté des clients des programmeurs de génie qui développeront des applications orientées usage, puisqu’eux-même sont clients. Ces application pourront alors, au-delà ce que font déjà celles des marques, inventer d’autres usages en laissant cours à l’imaginaire, et surtout, passer directement des commandes au système d’information. Le flux d’achat en sera ainsi augmenté.

Prenons un autre exemple: si les banquiers ouvraient leurs API (en imaginant qu’ils passent d’un mode stock à un mode flux), la communauté pourrait développer des applications innovantes, permettant de mieux gérer leurs comptes, de faire des transactions, etc… Les banquiers y gagneraient des flux, et les clients auraient des services bien plus intéressants.

La rentabilité de l’OpenApi

Est-ce utopique ? C’est déjà ce que fait Amazon dans le retail, avec d’une part les Amazon Web services, dont l’un par exemple permet d’adresser le tunnel de commande, et les widgets qui permettent à chacun de mettre une fenêtre d’Amazon sur son site. C’est aussi la récente innovation de paypal avec paypalX, un ensemble d’API ouvertes associées à un modèle économique de partage de revenu. C’est ce qu’a fait JCDecaux en ouvrant les interfaces des bornes du vélib, fournissant le nombre de vélos et ne nombres de slots disponibles, même si l’on aurait aimé qu’il ouvre ses interfaces du Vélib lui-même, et surtout l’on a regretté qu’il fasse machine arrière. On pourrait penser à d’autres applications, dans le monde de l’automobile, de toutes les industries ou de tous les services.

Le monde Internet est un monde ouvert, basé sur la coopération, l’intelligence collective, et la valeur du flux plus que du stock. Ouvrir ses API représente, pour une entreprise, la compréhension d’où se situe la valeur, et de comment l’exploiter intelligemment. Je reste persuadé que les premières qui le feront auront un avantage compétitif par rapport aux autres.

Le “government as a platform” de Tim O’Reilly deviendrait, à la lumière de ce que j’ai écrit en 2008, « enterprise as a platform ». Auguste Detoeuf, dans « propos de O. L. Barenton, confiseur », le disait lui-même dans un livre écrit en… 1936 :

Ce ne sont pas vos brevets, mais votre rapidité d’exécution, qui vous protégera de la concurrence.

Crédit photos cc FlickR : tuppus, TheGoogly, thecodefarm.

Article initialement publié sur La rupture Internet.

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Les forums: ou la fin des études de marché? http://owni.fr/2010/10/18/les-forums-ou-la-fin-des-etudes-de-marche/ http://owni.fr/2010/10/18/les-forums-ou-la-fin-des-etudes-de-marche/#comments Mon, 18 Oct 2010 10:11:13 +0000 Serge Soudoplatoff http://owni.fr/?p=31572 Nous avons baigné dans un environnement scolaire français qui nous a appris que, lorsqu’un problème se présente, il faut le résoudre, et le résoudre tout seul, sans aide. Ce n’est qu’en arrivant dans un milieu professionnel que nous pouvons enfin appliquer la recette la plus rapide pour résoudre un problème : trouver quelqu’un qui est déjà passé par le même chemin, et l’a résolu. Le copiage est une excellente méthode, la bonne question devenant alors : «qui a déjà résolu ce problème ? Qui sait quoi sur tel sujet ?».

De tous les lieux où s’expriment une véritable intelligence collective, le forum de discussion est probablement le plus puissant. C’est le lieu idéal du pair à pair où l’on trouve à la fois de l’empathie, de l’entraide, et de l’intelligence. Il permet de répondre à la question pré-citée.

Une définition simple s’impose : le forum de discussion est une plateforme où tout internaute peut poser une question à une communauté, question qui peut rester sans réponse, ou bien à l’inverse engendrer jusqu’à plusieurs mois de discussions passionnantes. Dans le forum des passionnés de la marque Renault, un fil de discussion a commencé le 14 mars 2005 pour se terminer le 7 juillet 2008, avec plus de mille messages, à propos d’un problème de régulateur de vitesse…

Un peu d’histoire…

Un détour par l’histoire s’impose. Les forums ont été, avec l’e-mail, les premiers services à être proposés sur Internet. Cela s’appelait la hiérarchie Usenet, elle fut inventée en 1981. On les appelait aussi les newsgroups. Comme le web n’existait pas à cette époque, l’interface était simple. C’était l’époque où il n’y avait pas de dangers dans Internet, donc pas besoin de s’enregistrer ; l’e-mail suffisait comme identifiant ; e-mail qui, à cette époque, était généralement prénom.nom@fai.qqchose. Cette hiérarchie Usenet a donné lieu à des centaines de millions de messages. Son mode de gouvernance était simple : un nouveau groupe était créé suite à un vote, ensuite, il n’y avait pas de contraintes.

Deux éléments ont changé la donne : l’augmentation du nombre d’abonnés Internet, et l’arrivée du web.

Internet, comme toute vraie innovation, est passé d’un cercle de gens ouverts et curieux à un public plus large. Ceci est souhaitable, mais le prix à payer est la dilution d’une philosophie initiale, fondée sur l’entraide en mode pair à pair. Sont donc arrivés dans ces forums des personnes plus inclines à s’exposer, généralement au travers de messages provocants, que d’aider la communauté. Elles portent un nom délicieux : les trolls. La vie est ainsi faite que la coopération est un équilibre instable, dans le sens où elle réclame que toutes les parties soient d’accord, alors que l’affrontement est un équilibre stable, dans le sens où un seul suffit pour déclarer la guerre. Ces forums se sont vites trouvés pollués par des individus qu’il était difficile de border, la technologie ne proposant pas de couche d’administration sophistiquée.

Explosion des forums

Puis arrive le web, qui, comme je l’ai signalé, est une régression, dans le sens où l’on revient à une recherche de contenus plus que de connaissance. Les forums de discussion n’étaient pas dans la logique informatique du web, ils avaient besoin de logiciels client, dits lecteurs de news. Dans le début des années 2000, sont nés des logiciels permettant de gérer des forums de discussion, dont le célèbre phpbb, qui gère 80% des forums.

Deux bonnes nouvelles sont alors arrivées, la première était l’accessibilité au travers du navigateur web, ce qui simplifiait la tache pour l’internaute, la deuxième était la possibilité d’administrer plus finement le forum, d’abord en forçant un processus d’authentification, puis en définissant des rôles (lecteur, contributeur, modérateur, administrateur), et surtout en proposant au créateur du forum de pouvoir le structurer dans une hiérarchie à deux ou trois niveaux. C’est ainsi que sont nés et ont littéralement explosé les forums de discussion.

Ces forums présentent un avantage, c’est de pouvoir montrer le nombre d’inscrits, et le nombre de messages publiés depuis le début du forum. Le rapport des deux donne une indication de sa dynamique.

Ces forums sont nombreux, et parfois surprenants. Ainsi, face au géant Doctissimo,  qui est le premier forum francophone, il y a le forum vivre sans thyroïde, créé par une femme qui avait des problèmes de santé de ce type, et a réussi à créer une communauté très active de plus de 10.000 membres. Le forum des enseignants du primaire, qui unit plus de 90.000 enseignants qui s’échangent des bonnes pratiques, forum d’une très grande intelligence, a été créé par un enseignant de l’île de la Réunion, sans nécessiter l’intervention de l’Éducation nationale. Que penser du surprenant forum des passionnés de gros tracteurs, où plus de 10.000 agriculteurs se sont échangés près de 600.000 messages sur les tracteurs et leur adéquation aux technique agricoles !

Voici une petite collection de forums francophones, représentatifs de plusieurs thématiques. Les chiffres datent du 30 septembre 2010.

Forum Thématique Membres Messages ratio
Doctissimodoctissimo santé 2402085 201355878 83,8
Forum thyroïdeforum thyroide santé 10307 248323 24,1
Hardware.frHardware.fr hightech 813250 78154292 96,1
Le repairele repaire hightech 112542 1063594 9,5
Home cinémahomecinéma hightech 128258 7193978 56,1
Forum VoyageForum voyages voyages 582236 3072893 5,3
Forum météoInfoclimat sciences 8992 1288776 143,3
Futura scienceFutura science sciences 418211 3149488 7,5
Jeux on lineJeux On Line jeux 189299 21369683 112,9
SkiSki sport 58087 2128536 36,6
Vélo vertVélo vert sport 100771 3751028 37,2
Caradisiaccaradisiac auto/moto 863848 45858793 53,1
MotoCrazy moto auto/moto 94325 9252957 98,1
Cyber bricoleurCyber bricoleur brico/jardin 110875 3226753 29,1
forum jardinaujardin brico/jardin 56543 1729799 30,6
forum contruireconstruire brico/jardin 58687 1429860 24,4
Les gros tracteursLes gros tracteurs agriculture 10128 592056 58,5
Enseignants du primaireenseignants du primaire enseignement 99192 4692024 47,3
Classes prépaclasses prépas enseignement 19752 306198 15,5
Forum mathsforum maths enseignement 68908 685801 10,0

Le plus grand forum de discussion est Gaia, qui réunit plus de 24 millions de personnes ayant échangé plus de 1,8 milliards de messages.

C’est quoi un bon forum ?

Pour qu’un forum de discussion soit actif, il faut qu’il s’y passent de vrais échanges. Un forum où s’échangent de bonnes pratiques, des trucs ou astuces, ou bien de l’empathie, est un forum de qualité. À l’inverse, les forums liés à la politique, parfois liés aux journaux, sont des lieux rarement intéressants, car sans utilité pratique.

Lorsqu’un forum de discussion est actif, alors c’est un endroit important pour le monde de l’entreprise, car les clients s’échangent beaucoup d’informations. Moore le disait explicitement, dans son livre Crossing the chasm : « il vaut mieux trois clients qui se parlent que dix clients qui ne se parlent pas.» La justification première était de réduire le coût des ventes. Mais l’intérêt est surtout d’apprendre comment les clients s’approprient les produits et services des entreprises.

La méthode traditionnelle pour faire des études de marché est de définir des questions à poser, puis de trouver un échantillon représentatif (de 1000 personnes, ce qui est faible…), et de recueillir les avis. Toute personne qui a été du côté des sondés sait très bien que la réalité est plus complexe que les questions qui sont posées ; qu’on ne sait pas répondre par «oui ou non» car la réalité est souvent «oui» dans un contexte et «non» dans un autre ; que les messages qui semblent importants au sondé sont, comme par hasard, absents du sondage, etc. Le sondeur a perdu du temps et de l’argent, le sondé a perdu du temps et gagné de l’énervement.

Un outil plus fin et efficace

En revanche, les forums de discussion permettent deux choses que les sondages ne permettent pas : un, de faire émerger les questions des utilisateurs, et deux de les faire réagir entre eux. La connaissance que l’on peut avoir est largement supérieure à tout sondage.

Les spécialistes de l’informatique théorique ont l’habitude de structurer la connaissance en trois niveaux : la connaissance individuelle (quelqu’un sait), la connaissance collective (tout le monde sait), et la connaissance globale (tout le monde sait que les autres savent). Le fameux quatrième pouvoir des médias consiste à savoir faire passer du niveau un au niveau deux ; tout le monde (ou presque) ayant lu les journaux, écouté la radio, vu la télévision. La grande puissance d’Internet est de faire passer du niveau deux au niveau trois.

La méthode, par rapport à une question posée, consiste à trouver les bons forums, puis à en extraire les tendances lourdes, les signaux faibles, et d’agrémenter tout cela d’une bonne dose de verbatim.

Il n’est pas facile de trouver les bons forums, car il n’existe pas de moteur de recherche. La partie «forum» de Google est en fait l’indexation de la hiérarchie Usenet, que Google a acquis au travers de dejanews.com qui avait repris tous les fichiers de cette hiérarchie.

Ensuite, il faut, au travers des moteurs de recherche internes, trouver les messages intéressants, et ramasser les pépites. Lors de l’observation d’un forum automobile, un fil de discussion était lancé sur le sujet de la qualité du concessionnaire. La plupart étant des passionnés de haut niveau, la note moyenne n’était pas excellente… Sauf un passionné qui a avoué que son concessionnaire était un membre actif du forum qui ne s’était jamais déclaré, qu’ils s’étaient un jour aperçus que l’un était le client de l’autre, et que le concessionnaire lui avait demandé de le contacter à chaque fois qu’il irait dans une concession afin de lui mettre à disposition un technicien pointu. Voici un concessionnaire qui, au lieu d’attendre que le client vienne chez lui, allait là où ils se trouvaient, à savoir dans un forum, savait détecter un client pas comme les autres, et établir une relation particulière.

Seul le forum de discussion permet de mettre en valeur une telle démarche intelligente, qui passera inaperçue à toute étude de marché. Il est plus difficile de poser la bonne question que de trouver la bonne réponse. Le forum permet souvent de trouver  les bonnes questions.

L’entreprise doit favoriser les discussions

Un forum est essentiellement un lieu d’observation. Toute tentative que pourrait avoir une entreprise d’y intervenir directement pour tout autre objet que d’aider la communauté est vouée à l’échec. Ce sont des lieux où le faux devient vite évident, la communauté étant très forte pour les détecter, et les rejeter. En revanche, le rôle principal d’une entreprise est de délivrer de l’information dont l’objectif principal est de faire discuter les clients entre eux. Et surtout, l’entreprise ne doit pas empêcher ces discussions, elle doit les favoriser. Citons comme exemple de ce qu’il ne faut pas pas faire un grand distributeur qui n’avait pas aimé ce qu’on disait de lui dans un forum de passionnés de Canon Eos Numériques, avec comme conséquence la transformation dans les message de son nom d’enseigne en f**c…

Allons même plus loin : beaucoup de passionnés mettent comme signature automatique leur configuration, que ce soit leur voiture, leur chaîne hifi, ou bien les softs sur leur téléphone portable. Combien d’entreprises dépensent de l’argent pour savoir de quoi sont équipés leurs clients, alors qu’ils le disent spontanément dans les forums.

Les conversations dans les réseau sociaux atteignent rarement le degré d’intérêt qui existe dans les forums. La simplicité du bouton «j’aime» de Facebook ne pousse pas à écrire des commentaires réfléchis. Le forum de discussion reste encore, en 2010, un lieu intéressant pour y gagner de la connaissance au travers des échanges de bonnes pratiques et d’opinion entre les internautes.

Billet initialement publié sur Almatropie, le blog de Serge Soudoplatoff

Images CC Flickr betsythedevine, sea turtle

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http://owni.fr/2010/10/18/les-forums-ou-la-fin-des-etudes-de-marche/feed/ 46
Pour un gouvernement 2.0 http://owni.fr/2010/03/11/pour-un-gouvernement-20/ http://owni.fr/2010/03/11/pour-un-gouvernement-20/#comments Thu, 11 Mar 2010 16:20:34 +0000 Serge Soudoplatoff http://owni.fr/?p=9877 2285257955_13d8c781b2

En finir avec les relations verticales

Passionné d’Internet depuis plus de vingt-cinq ans, ingénieur de formation, fondateur et président d’Almatropie, entre autres, Serge Soudoplatoff rejoint Owni. Il expose dans ce billet les avancées de certains pays en matière d’open data. Un train que la France n’a malheureusement pas encore pris .

Nous sommes au mois de mars 2010. O’Reilly vient de terminer sa conférence en ligne sur le gouvernement 2.0. Premier constat : les pays qui y participent, parce qu’ils ont quelque chose à raconter, sont les États-Unis, le Canada, l’Australie, l’Angleterre, et Israël. Je sais, la France, pays des droits de l’homme, hélas, n’y était pas présente.

Que signifie un gouvernement 2.0 ? C’est un cheminement qui passe d’abord par l’open data. En bref, le gouvernement s’engage à fournir publiquement toutes les informations qu’il détient. Je viens de croiser à Melbourne Chris Moore, qui est DSI de la ville d’Edmonton, et qui a mis en place un tel système de catalogue open data. Ne croyons pas que c’est facile, il s’est heurté à toute sorte de méfiance, de rejets. Mais il a persévéré, et a réussi. On y trouve des informations géo-localisées, comme les parkings, les bus, les écoles, etc. Mais ce n’est pas suffisant, Chris a décidé d’ouvrir les API de ce catalogue aux développeurs.

Dans la même idée, la ville de San Francisco vient d’annoncer l’ouverture de ses API 311. 311 est, aux États-Unis, l’équivalent du 911 mais quand il n’y a pas d’urgence. Le 911 est utilisé pour signaler qu’un immeuble brule, le 311 pour dire qu’il y a un simple problème ; c’est très bien expliqué ici. Suite à un document créé par Harvard en 2008, une initiative a été lancée, l’open311, qui consiste à créer un ensemble d’API autour des services municipaux (au passage, ce site est un wiki, outil très intéressant dans des phases de conception). Parmi les usages intéressants de cette initiative, signalons fixmystreet en Angleterre, un système de déclaration de problèmes urbains en Hollande, ou bien do it yourself democray aux États-Unis, qui est une application iPhone !

Tout repose sur la même idée (que j’espère bien promouvoir à la DUI) : le rôle du gouvernement est d’encapsuler ses données et d’ouvrir des API, pas seulement de faire un portail où sont sélectionnées des applications « labellisées », mode de relation avec les citoyens qui reste encore trop hiérarchique, supérieur, entre des « sachants » d’un côté et le brave peuple de l’autre.

Mettre les citoyens et le gouvernement en mode collaboratif

Mais ce n’est qu’un début : le pas suivant consiste à mettre les citoyens et le gouvernement en mode collaboratif, en s’appuyant sur les outils de l’Internet. Je ne saurais que trop vous conseiller de lire l’excellent rapport publié par le gouvernement australien, qui est généralement cité comme ce qui se fait de mieux en gouvernance 2.0 : ” Getting on with Government 2.0“. Ce rapport, publié en décembre 2009 sous licence Creative Commons, est adressé à deux ministres : Lindsay Tanner, ministre des Finances et de la Dérégulation, et Joseph Ludwig, membre du Parlement et ministre d’État. La première page est éloquente : l’Australie veut faire de son gouvernement le meilleur au monde !

Je ne peux m’empêcher de vous délivrer l’un des paragraphes de cette première page :

Information collected by or for the public sector is a national resource which should be managed for public purposes. That means that we should reverse the current presumption that it is secret unless there are good reasons for release and presume instead that it should be freely available for anyone to use and transform unless there are compelling privacy, confidentially or security considerations which require otherwise.

La mise en œuvre de ce projet passera par trois piliers :

> Changer la culture et la gouvernance de l’administration

> Utiliser tous les outils collaboratifs issus de l’Internet

> Ouvrir les accès à toutes les données publiques

    Voici une belle initiative, à l’opposé des fameuses lois en I chères à JMP.

    Ne pourrions-nous pas nous en inspirer ?


    > Billet initialement publié sur Almatropie

    > Illustration par Todd Barnard

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    http://owni.fr/2010/03/11/pour-un-gouvernement-20/feed/ 3