Brice, Ségolène et le point Godwin

Le 20 septembre 2009

Influence du dernier Tarantino? Hortefeux et Ségolène se sont croisés la même semaine sur une parodie de La Chute. On se souvient que le premier s’était soulagé d’une vanne 100% pur porc, enregistrée par les caméras de Public Sénat. La seconde a étrenné la nouvelle version de Désirs d’avenir – réalisation sur laquelle Benoît Thieulin [...]

Influence du dernier Tarantino? Hortefeux et Ségolène se sont croisés la même semaine sur une parodie de La Chute. On se souvient que le premier s’était soulagé d’une vanne 100% pur porc, enregistrée par les caméras de Public Sénat. La seconde a étrenné la nouvelle version de Désirs d’avenir – réalisation sur laquelle Benoît Thieulin a refusé de se prononcer (impossible, de toute façon, vu ses crampes abdominales et zygomatiques). Comme de juste, ces deux dérapages ont trouvé leur punition sur le web, à travers moult réactions, détournements et remix, dont deux versions faussement sous-titrées de la même scène du film de Oliver Hirschbiegel (“La chute d’hortefeux” 13/09; “Royal Führer“, 15/09).

Côté Hortefeux, on a assisté à un creuser de piscine assez extraordinaire. Voir ministres et syndicats policiers entonner comme un seul homme l’air du “WTF” (en français: quoi, quesskya, si on peut plus déconner), avec une décontraction toute lepéniste, faisait encore plus froid dans le dos que la saillie initiale. Ce n’était là qu’amuseries, et l’on a vite atteint un degré d’hystérie rare avec la diversion anti-web, inaugurée par l’inévitable Jean-François Copé. Jadis victime de l’effet Dailymotion, c’est Alain Duhamel qui a fermé le ban de ce grand défoulement dans Libération, en nous assurant du «despotisme de la transparence».

Sous le gouvernement le plus à droite de la Ve République, avec des contre-pouvoirs réduits comme peau de chagrin, un parlement au pas cadencé, une opposition évaporée, un syndicalisme en phase terminale, des médias aux ordres, le despotisme, c’est internet. La fin de la démocratie, c’est le web. Le danger totalitaire, c’est la vidéo amateur. On connait la loi de Godwin, selon laquelle, plus une discussion en ligne s’allonge, plus on a de chance de voir surgir la comparaison avec le nazisme ou la reductio ad hitlerum. Je propose de la compléter par la loi de Duhamel, qui veut que plus le sujet de la controverse est grave, plus grandes sont les chances d’en incriminer le web.

Confirmation par Ségolène, dont le site a suscité depuis mardi une grêle de plaisanteries et de piques, sans qu’aucune signature n’évoque pour sa défense le “lynchage” d’internet. Pour les éditorialistes (qui ne voient d’ailleurs pas ce qu’il y a de drôle dans la homepage de Désirs d’avenir), un site web raté est un péché tout ce qu’il y a de véniel – et Ségo un personnage suffisamment démonétisé pour qu’il ne soit pas nécessaire d’emboucher les trompettes de l’anti-totalitarisme.

Il y a pourtant une leçon non-duhamélienne à retenir de cette rencontre. Si pour les élites politiques et médiatiques, internet est cet empêcheur de dominer en rond qu’il ne coûte rien d’invectiver, pour des millions de Français, le web est une présence familière, un outil quotidien, un média apprécié. Ce n’est que pour nos responsables qu’il y a encore deux mondes, l’un considérable, l’autre négligeable. Pour tous les autres, le dérapage d’Hortefeux n’a rien à voir avec un totalitarisme de la transparence, mais est simplement une information révélée par un quotidien en ligne. Quant au site 1.0 de Ségolène, il apporte un témoignage éloquent d’absence de professionnalisme, qui est jugé à l’aune de l’évolution des pratiques politiques récentes, et notamment de l’exemple américain. On opposait naguère internet et “la vraie vie”. Pour ceux qui pensent avoir quelque chose à dire, et qui veulent qu’on les écoute, il va falloir assimiler que le web fait désormais partie de “la vraie vie”. Vite. Et arrêter de dire n’importe quoi, parce que ça devient simplement insupportable.

Initialement publié sur ARHV


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