Dans l’isoloir avec Pécresse dans la poubelle…

Le 20 mars 2010

Pour la première fois de ma vie, je me retrouve à trois minutes de mon bulletin de vote sans savoir pour qui je vais voter. Non seulement cela, mais je ne sais pas non plus si je suis de gauche ou de droite. Ou pourquoi pas vert. Il faut dire que je n'ai pas été aidé. Ni par la méchante crise mondiale, ni par les politiques aux cheveux plaqués en arrière, ni par la Poste qui ne m'a pas livré les programmes. Un scrutin fictif sans doute ?

isoloir

Pour la première fois de ma vie, je me retrouve à trois minutes de mon bulletin de vote sans savoir pour qui je vais voter. Non seulement cela, mais je ne sais pas non plus si je suis de gauche ou de droite. Ou pourquoi pas vert.

Il faut dire que je n’ai pas été aidé. Ni par la méchante crise mondiale, ni par les politiques aux cheveux plaqués en arrière, ni par la Poste qui ne m’a pas livré les programmes. Un scrutin fictif sans doute, qui n’existe que dans mon imagination… J’entends dire ici et là que l’abstention va battre des records et je me sens différent, presque à culpabiliser d’aller voter pendant que les autres promènent les varices de la belle-mère ou vont courir la gueuse au Bois de Vincennes. Je vais accomplir mon acte citoyen dans la clandestinité, avec la sensation de participer à quelque chose de rétrograde, de futile et vain.

Rendez-vous à la maternelle du coin.

Des petites classes, des petites chaises, des dessins d’enfants, bariolés et gauches, les mini toilettes ouvertes sur le couloir froid et vide. Un manteau d’enfant, seul, est suspendu à un crochet, et je me demande pourquoi il y a un seul manteau ; et où est l’enfant. J’espère qu’il ne lui est rien arrivé… Dans la salle du vote, deux vieilles filles et un ivrogne m’observent bizarrement. Impression qu’ils ont vu Jessie James pénétrer dans le saloon du coin. Lui, porte des lunettes trop grandes sur son nez couperosé. Elle, aime bien son humour communiste militant. Il n’en rate pas une seule, de journée dépouillement, depuis que son père, en 1962, lui a expliqué que « la magouille c’est comme la chtouille, c’est la maladie des partis »! Je dis bonjour et ma voix résonne. Ils me répondent, c’est sympa. Je suis seul à voter en ce dimanche matin, il est onze heures… L’antillaise derrière la grande table saisit ma carte d’électeur et mon permis, elle me valide. Je crois percevoir un bout de sourire m’invitant à saisir des listes, “deux minimum, après vous faites ce que vous voulez…”.

Des listes et des listes, certaines en couleur, d’autres en papier miséreux, des noms partout, des inconnus, des colistiers, des suppléants, des wannabe. Plus d’une quinzaine de listes je crois… Comme d’habitude depuis des siècles, je saisis les listes fréquentables, celles qui me laissent penser que je ne fais pas d’erreur républicaine ; jamais d’extrême, ce n’est pas le genre de la maison. À gauche en bout de table, en premier et bizarrement, c’est Valérie Pécresse.

Comment choisit-on l’ordre des piles sur la table ? Il doit y avoir une loi pour ça quelque part, avec des alinéas et des notes en fin de page. En premier la majorité présidentielle ? Ou les blondes ? Ou bien est-ce une basse manÅ“uvre orchestrée par le maire UMP de ma juridiction ? La première liste c’est comme la première chaîne, TF1 par défaut, chaîne sur laquelle restent scotchés les fainéants et les manchots. Voterais-je UMP par fainéantise ? Suis-je un manchot ? Incapable de poser une tringle à rideaux sans faire deux ou trois trous inutiles, je me dis que oui, peut-être… Je passe doucement devant la table, comme au self du Courtepaille sur l’A10. Et hop, un bulletin PS, hop, un Europe Ecologie, et puis hop, un Mélenchon pour la route. Je l’aime bien Mélenchon, il ne prend pas de pincettes celui-ci… À quoi sert ce jeu ? A qui suis-je censé cacher mon choix ? À cette gentille Antillaise qui s’endort sur son sudoku ? Je crois que ce processus de choix multiple est là pour me rappeler l’indécence de mon trouble. Je culpabilise encore.

Quand je pénètre dans l’isoloir, je ne sais toujours pas…

Le petit bout de planche destiné à opérer le pliage de la grosse feuille est ridicule, même pas la place de poser un verre. J’ai des feuilles de partout, c’est pratique comme du papier alu. Dans la poubelle, à mes pieds, je regarde discrètement les traces de décisions passées ; sur le haut de la maigre pile, il y a une Pécresse gisante comme un sachet de préservatifs usagé et abandonné dans les flaques boueuses d’un fond de Bois de Boulogne hivernal. Que s’est-il passé dans la tête de mes prédécesseurs, qu’ont-ils jeté, quels motifs, quelles punitions ? Impression d’être au restaurant, quand on demande à ses amis ce qu’ils vont prendre ; parfois ça donne des idées… Bon. On y est. Je ne peux pas me défiler maintenant, si près du but.

Serais-je donc de gauche au fond ? C’est possible… Je pense aux Balkany, Lefebvre ou Ceccaldi, et je me dis que je ne peux pas supporter. Je n’en veux plus de cette vulgarité crasse et indécente, ce cynisme rampant. C’est exquis comme frisson, ça réveille, ça excite, je me sens soudain une âme de Guévariste. Mais bien vite je me mets à penser à la gauche et je tremblote un petit peu. Des images en masse me reviennent et se superposent sur un fond d’internationale mal mixée, des Fabius, Lang, Jospin ou Delanoë… Souriant de toutes leurs dents nettoyées à la cire de la brosse à reluire. J’ai comme un goût de frayeur désagréable. Bande de fantoches en culotte longue, bavards immortels, pourvoyeurs de notre ennui depuis des décennies. Et puis Aubry, Huchon, des visages flous, des idées molles. Je ne parle même pas de Ségolène Royal qui me donne soudainement envie de voter blanc ou d’arracher le rideau pour le brûler dans la cour !

Je sens monter en moi comme une colère, je ne sais plus pour quoi, de qui, comment.

Je saisis d’autres feuilles, dans l’ivresse de l’indécision, je suis largué. Mélenchon ? N’allons pas trop vite, pas trop loin. Je dois ménager ma biographie, on ne va pas non plus s’énerver. Restent les écolos… Je l’aime bien le Cohn-Bendit, il a au moins la gouaille qui sonne juste. Voilà à quoi je me raccroche, en ce 21ème siècle ? À la gouaille du leader ? Je ne parle pas d’une vision pour la France, d’une philosophie ou d’un manifeste. Non, juste de son franc-parler qui tranche avec le yahourt mielleux des béni oui-oui de la République dévastée. Et puis la Dufflot, elle est mimi. Moins que la Jouanno dans son kimono, mais plus que Aubry dans son tailleur allemand acheté à la mercerie.

Le mâle que je suis passe alors en revue, très rapidement, toutes les jeunes ou moins jeunes femmes de la politique Française, dans un tri désordonné et subjectif qui n’aurait rien à envier à l’élection de Miss Limousin. J’ai un petit faible pour la Jouanno mais ça ne suffira pas : je ne vais pas voter pour un kimono échancré, si ? Je ne sais plus. Europe Ecologie ? C’est ça ? Quand je pense que quand j’étais petit on riait en famille en regardant Brice Lalonde à la télévision… Je me surprends donc à jeter toutes mes feuilles de papier dans un gros geste de gâchis pas très responsable, tout en pliant une des vilaines feuilles en quatre pour la glisser dans cette minuscule enveloppe bleue. Je vote, je signe, je quitte la salle.

Dans la cour de l’école, il y a ce petit garçon qui roule sur sa trottinette, affublé du manteau qui pendouillait tout à l’heure. Il est vivant, c’est une bonne nouvelle. Il vient à ma hauteur avec ses grands yeux et ses mèches blondes. “Pour qui t’as voté m’sieur ?”. Surpris, je ne sais pas trop quoi répondre, il y a deux minutes j’étais dans l’isoloir, protégé par le secret des lois. Maintenant je suis transparent devant le petit prince. “Je ne sais pas, j’ai fermé les yeux…”, lui dis-je en souriant. Il sourit alors, admiratif, « wouaaa, trop fort ! ». Et il s’en va en roulant.

C’est vrai au fond, j’ai fermé les yeux sur plein de choses en ce dimanche matin…

Billet initialement publié chez Vinvin

Photo CC clementine gallot sur Flickr

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