Hadopi: Godard face à la meute

Le 20 mai 2010

Tous les artistes ne font pas preuve du même bon sens quand il s'agit du téléchargement illégal et du droit d'auteur. La preuve en citations.

Vilain piratin (copyright Jean Gonzague Saint Broute), prends-toi ça dans ton arrière-train de pilleur de culture.

On en aurait pleuré. Alors que la Hadopi persiste à frayer son chemin malgré les failles juridiques, malgré les chiffres qui donnent tort à ceux qui portent cette loi au nom de la défense des artistes et de la bonne santé de l’industrie de la musique, bref malgré le sens de l’évolution, le cinéaste Jean-Luc Godard a tenu des propos aussi justes que salvateurs dans une savoureuse interview accordée aux Inrocks.

À l’heure où certains se demandent si le droit d’auteur n’est pas une notion périmée, Godard prend les devants :

Je suis contre Hadopi, bien sûr. Il n’y a pas de propriété intellectuelle. Je suis contre l’héritage, par exemple. Que les enfants d’un artiste puissent bénéficier des droits de l’oeuvre de leurs parents, pourquoi pas jusqu’à leur majorité… Mais après, je ne trouve pas ça évident que les enfants de Ravel touchent des droits sur le Boléro…

> Vous ne réclamez aucun droit à des artistes qui prélèvent des images de vos films ?

Bien sûr que non. D’ailleurs, des gens le font, mettent ça sur Internet et en général c’est pas très bon… Mais je n’ai pas le sentiment qu’ils me prennent quelque chose. [...] Si je devais plaider légalement contre les accusations de pillage d’images dans mes films, j’engagerais deux avocats avec deux systèmes différents. L’un défendrait le droit de citation, qui n’existe quasiment pas en cinéma. En littérature, on peut citer largement [...]

Le droit d’auteur, vraiment c’est pas possible. Un auteur n’a aucun droit. Je n’ai aucun droit. Je n’ai que des devoirs. Et puis dans mon film, il y a un autre type d’emprunts, pas des citations mais simplement des extraits. Comme une piqûre lorsqu’on prend un échantillon de sang pour l’analyser. Ça serait la plaidoirie de mon second avocat. Il défendrait par exemple l’usage que je fais des plans des trapézistes issus des Plages d’Agnès. Ce plan n’est pas une citation, je ne cite pas le film d’Agnès Varda : je bénéficie de son travail.

Jouissif à entendre de la bouche d’une icône du 7ème art, qui aurait tout aussi bien pu se draper dans ses oripeaux d’artiste pour réclamer pitance en droits d’auteurs sonnants et trébuchants. Étonnant de la part de quelqu’un qui ne pratique pas Internet ? Oh non, le réalisateur d’Histoire(s) du cinéma est trop conscient des limites du droit d’auteur, de ce que chaque Å“uvre doit à celles qui l’ont précédé, de l’échange constant et mutuel entre les arts.

Bref, il fait preuve d’un bon sens dont feraient bien de s’inspirer les artistes (?) ci-dessous.

Aussi pénible que cela soit, la soucoupe a uni ses forces pour vous proposer un best-of des pires citations des pro-Hadopi.

Attention, éloignez les enfants de l’écran, c’est violent /-)

Bouh Hadopi : le mega-mix en trois K7

“Le droit d’auteur est un droit de l’homme”

Extrait de la lettre ouverte publiée dans Le Monde adressée à Martine Aubry par plusieurs artistes “de gauche”, Juliette Gréco, Bernard Murat, Pierre Arditi, Maxime Le Forestier et Michel Piccoli, pour dénoncer la stratégie du PS à propos de la loi “Création et internet”.

Les mêmes au même endroit :

“En vous opposant, à l’occasion de la loi “Création et Internet”, à ce que des règles s’imposent aux opérateurs télécommunications (comme vous les aviez imposées naguère aux opérateurs de télévision et de radio) pour qu’ils cessent de piller la création, vous venez de tourner le dos de manière fracassante à cette histoire commune.

Vous étiez la résistance à la déréglementation, à la loi de la jungle et du plus fort qui assassine la diversité culturelle. Vous êtes désormais, par l’effet d’une étrange ironie de l’histoire, les avocats du capitalisme débridé contre les droits des artistes à l’heure du numérique.”

Arditi, étonnamment pondéré : “La loi Hadopi n’est pas parfaite, loin s’en faut, mais elle essaie tout bêtement de freiner la destruction de la création cinématographique et musicale, peut-être même littéraire, par les opérateurs de télécoms” (source Le Figaro) 

Françoise Hardy, pas à une comparaison hasardeuse près :

Comme le dit Thomas [Dutronc], on peut comprendre que si les gens ont l’opportunité d’avoir une voiture gratuitement, ils s’en foutent de contribuer ainsi à la mort de l’industrie automobile.

Confraternelle : “Je déplore que des Cabrel, Goldman, Renaud et autres ne soient pas montés au créneau, comme Alain Corneau, par exemple. Je ne sais plus si c’est Corneau ou Jean-Claude Carrière qui, excédés par le qualificatif de « liberticide » à propos de cette loi, a utilisé l’image d’un poulailler libre avec des renards libres : libres de manger toutes les poules qu’ils veulent et quand il n’y a plus de poules, ils meurent eux-mêmes d’inanition.”

(source Le Nouvel Observateur)

"Internet, c'est caca". Pierre Arditi, Tricot de peau  magazine.

"Internet, c'est caca". Pierre Arditi, Tricot de peau magazine

Thierry Lhermitte : small Brother is helping Hadopi

Thierry Lhermitte, qui vient de remporter un Big Brother Award avec Trident Media Guard (TMG), société chargée du flicage des réseaux et dont il est actionnaire :

« Ecoutez, depuis le vote de ce texte, on peut espérer que le piratage va diminuer. Trouver que cette loi est liberticide, c’est ridicule ! Si quelqu’un volait un CD à la Fnac, est-ce qu’on trouverait « liberticide » d’envoyer un e-mail disant “Attention, vous avez volé un CD, ne recommencez plus” ? »

(source Challenges)

Rions encore, “très au fait des dernières technologies, ce geek” (sic Challenges) entend avec TMG “rendre le téléchargement illégal cauchemardesque.” C’était plus simple en 1996.

Cela ne dispense apparemment pas certains artistes de quelques acrobaties historiques.

Max et le maxi point Godwin

Ainsi, Maxime le Forestier atteint avec un brio et une aisance incroyable un point Godwin qui ferait pâlir pas mal de discussions Internet. Au mieux de sa forme et à l’antenne d’une radio nationale, il passe pas loin de comparer les “pirates” avec les nazis, associe les anti-Hadopis à des pétainistes et devant l’éventualité d’un renoncement à la loi, proclame un vibrant “les Allemands sont là et on les laisse !”.

(et je vous passe le passage classique de l’amalgame vol-téléchargement, on est plus à ça près)

Arthur H, dommage

Arthur H, un peu moins bas de plafond que la moyenne, tente de nous convaincre avec un argument qui semble imparable.

Il évoque le cas de La Ballade de Melody Nelson, de ce bon vieux Serge. L’argument : c’est sorti par une major, la seule à avoir les reins assez solides pour produire un album à perte. Il faut donc arrêter de tout mettre sur le dos des majors, et arrêter de les télécharger. Oui, mais en fait, non :
- C’était il y a trente ans, aujourd’hui, les majors sont à mille lieues de sortir un album aussi expérimental, avant-gardiste et difficile d’accès que cette somptueuse Ballade de Melody Nelson.
- A l’époque, Gainsbourg avait pondu une tripotée de titres qui ont très bien marché (Je t’aime, moi non plus, Poupée de cire, entres autres). Indéniablement, cela a joué en sa faveur.
- Aujourd’hui, il y a de fortes chances que l’album soit produit avec des bouts de ficelles, téléchargé (gratuitement ou presque) et propulsé sur le Net pour toucher une niche d’amateurs, rencontrer un certain succès et être récupéré par une major au DA rouillé pour espérer dégager quelques bénéfices (en le ré-enregistrant si besoin).

La Hadopi dispose de moyens pointus pour écrabouiller ceux qui téléchargent

Il ne semble donc pas avoir compris que vouloir plaquer un modèle ancien sur un écosystème nouveau n’a pas de sens. Dommage pour lui…

Pascal Obispo n’est pas très rigolo

Au cours d’une interview réalisée pour Ozap, Pascal, en grande forme et dans une tenue fort seyante, rappelle l’essentiel: “Moi, je suis pour les règles, voilà”.
Un peu plus loin, il précise : “Ce n’est pas moi qui établit les règles”.

C’est vrai, et c’est peut-être mieux ainsi.

Quand il s’enflamme, il s’inscrit dans la plus pure tradition hadopiste, pour rappeler que le téléchargement, c’est du vol. Et le vol, c’est mal. Raison suffisante pour voler les voitures et piquer la bouffe des députés anti-Hadopi, le tout sous l’Å“il des caméras :

“On va venir avec des caméras chez tous les députés qui votent pour le téléchargement, qui votent pour la piraterie. On va aller chez eux et se servir et on va voir leur tête. On va voir ce qu’ils vont dire. Ils vont nous dire, ‘Ne touchez pas à ma voiture, ne touchez pas à ma bouffe’.”

(Source: Ozap)

Imaginez la scène. Voilà. Lol.

Nous sommes d’accord sur au moins un point, Pascal, “il faut faire quelque chose pour la musique de demain”. Oui, et ce sera sans toi.

Minuscule Thierry Lhermitte

Tout ça vous a donné la nausée ? Allez, remontez-vous le moral avec cette dansante vidéo de QuestionCopyright.org, All creative work is derivative, du projet Minute memes, une série de courts clips sur les restrictions provoquées par le copyright et sur la liberté artistique, réalisées par Nina Paley.


Article rédigé par Sabine Blanc (les légendes, c’est elle), Martin Untersinger et Guillaume Ledit aka La Rédaction, oué.
Illustrations CC Flickr photognome, mugley, Dunechaser, Juanita972 et Juju_84

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