Le nettoyeur du net et le PageRank malin

Le 25 juin 2010

De plus en plus d'internautes font appel aux "nettoyeurs du net", chargés de dissimuler des traces indésirables laissées par l'utilisateur sur Internet. Retour sur leur rôle, leurs outils et peut-être leur vraie motivation.

Dans un article de Slate du 18 juin dernier, le journaliste Vincent Glad évoque le métier de « nettoyeur du net » en tant que service aux particuliers. L’entretien de l’un d’entre eux est l’occasion de découvrir sa technique favorite et de profiter un peu de son savoir sur le fonctionnement de Google.

Faire appel à un professionnel du nettoyage sur internet, c’est en quelque sorte tenter de faire appliquer avant la lettre un droit à l’oubli numérique, plébiscité dans le cadre de la récente consultation publique initiée le gouvernement sur ce sujet. Le journaliste nous révèle que la technique privilégiée par ces nettoyeurs consiste à créer des contenus récents et « propres », dont ils surveillent le bon référencement par Google, faute de pouvoir (faire) supprimer les contenus nuisibles à la réputation du client ; c’est le « noyage ».

Ainsi le cas de cette femme, dont les photos et vidéos SM ont été dérobées puis mises en ligne contre son gré, qui se voit dotée par l’entreprise à laquelle elle a fait appel de « deux blogs à son nom ainsi qu’un compte Linked In, Viadeo, Friendfeed, MySpace » [1]. Autre exemple, une ex call-girl : puisqu’il semble bien difficile d’obtenir son anonymisation sur tous les articles faisant allusion à ses précédentes activités professionnelles, « il faudra aussi sans doute passer par du “noyage” en créant une présence en ligne propre avec blogs, Flickr…etc. ». Dernier exemple cité dans l’article, ce monsieur dont la réputation a, à tort, été salie par la presse locale : le retrait d’internet de l’article a pu être obtenu, mais son contenu ayant été repris et dupliqué ailleurs, le « noyage » s’impose une fois encore, à savoir la création de « plusieurs blogs et même un Twitter ». Cette technique me donne à penser qu’avec mes deux blogs et mes divers comptes « web 2.0 », les pratiques de ces nettoyeurs du net vont finir par me faire passer pour un dictateur en retraite qui cherche à se fabriquer son petit maquis numérique…

En somme, pour espérer dissimiler un peu, il faudrait surtout donner beaucoup à voir. Et dans tous les cas de figure, c’est la corvée de blogsourcing assurée pour le particulier ou pour l’entreprise qu’il a sollicitée… En fin d’article, on peut lire que « Face à Google l’autiste, qui refuse de déréférencer un contenu ou de valoriser un droit de réponse, il faut se débrouiller à mains nues. [...] les entreprises d’e-réputation ont l’avantage de maîtriser les techniques de référencement qui font remonter artificiellement un contenu en se calquant sur les préférences de l’algorithme. ».

L’un des apports des nettoyeurs envers leur clientèle reposerait donc en partie sur leur connaissance du fonctionnement de l’algorithme de ce moteur de recherche, particulièrement utilisé en France. Quelle peut être, justement, la perception de l’expert interrogé des « préférences de l’algorithme » ? En début d’article, le nettoyeur indique qu’à force « de traiter des cas de diffamation, d’insultes et de divulgation de photos intimes, il a acquis une certitude : Google fait la part belle aux contenus négatifs sur la première page de réponse d’un individu. “On peut l’expliquer de deux manières: soit le moteur de recherche récompense dans son algorithme les contenus négatifs en les faisant remonter, soit il cherche à panacher la première page de requête, allant chercher des contenus au champ sémantique différents, ce qui est souvent le cas des contenus gênants” ».

Curieuse vision du fonctionnement de Google que voilà. J’aurais plutôt tendance à penser que ces contenus négatifs sont bien placés dans les résultats parce que des liens ont été faits vers eux plus que sur d’autres ; telle est la loi bien connue du Page Rank. Je tombe de ma chaise en lisant les propos de ce professionnel du positionnement, qui envisage sérieusement semble-t-il l’hypothèse que l’algorithme de Google « récompense » des contenus négatifs. Espère-t-il ainsi rendre sa profession un peu plus nécessaire ?

Une idée clé qui me semble manquer, si je m’appuie sur ce que je sais du fonctionnement de Google, est que les contenus produits devraient être de nature à susciter la création spontanée de nouveaux liens vers eux par des tiers. À défaut d’une telle idée, les nettoyeurs pourraient à peu près autant être considérés comme des pollueurs que comme des nettoyeurs ; tous ces contenus créés n’apportent rien de plus à la communauté que du bruit . Et s’ils rendent néanmoins service à leurs clients — ce qui est le but recherché — on peut imaginer que ce service est bien moins performant qu’il pourrait l’être.

Mais qui sait, peut-être ce billet un peu critique envers ce nettoyeur me permettra-il de doper significativement le positionnement de ce blog dans Google ?

__

[1] : On notera au passage que sur internet, les images peuvent avoir un rôle redoutable de confirmation de l’identité d’une personne : sur Google, « ça peut être une homonyme après tout » ; mais sur Google Images, certaines images compromettantes intégrant le nom de cette personne dans le nom du document, « là, plus de doute ».

Billet originellement publié sur Iconique, un blog de Culture Visuelle.

Crédits Photo CC Flickr : Infrogmation & Canonsnapper .

Culture visuelle est un site développé par 22mars, société éditrice d’OWNI.

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés