De l’achat des mot-clé pour informer

Le 16 septembre 2010

L'achat de mots-clés n'est pas une chose nouvelle. Son utilisation pour tenter de contrôler les flux en rapport avec l'information et l'actualité l'est un peu plus. Quels conséquences pour la diffusion de l'information sur Internet ?

L’immixtion des mots clés dans la chaîne de l’information a connu un énième rebondissement avec le récent achat par l’UMP du mot «perquisition» sur Google pour atténuer la pression médiatique liée à l’enquête autour de l’affaire Woerth-Bettencourt. Le procédé n’est pas nouveau pour le parti majoritaire qui y recourt depuis 2005 de manière chronique pour attirer l’attention des internautes sur ses argumentaires et promouvoir ses idées politiques. Des entreprises s’adonnent également à l’usage tactique du mot-clé sur les moteurs de recherche pour mieux émerger dans le débat environnant et contrer d’éventuels opposants lors de période de crise. Le géant pétrolier BP y a d’ailleurs fait recours intensivement à la suite de la marée noire provoquée par l’explosion de sa plateforme d’extraction dans le Golfe du Mexique.

Si l’approche marketing et consumériste des mots clés peut se concevoir pour vendre des produits, des marques et des services, peut-on en revanche utiliser les mêmes outils commerciaux de référencement dès lors qu’il s’agit de sujets d’information aux enjeux sociétaux nettement plus sensibles. L’intrusion des mots clés dans l’arsenal du communicant d’entreprise et/ou politique soulève de véritables questions éthiques. Peut-on orienter le débat d’idées et les sujets d’actualité comme on promeut un modèle de voiture ou un site de petites annonces immobilières ? La question mérite d’être posée car elle sous-tend des déviances dangereuses pour la chaîne de l’information déjà suffisamment complexe et brouillée à l’heure actuelle.

Mot-clé, vous avez dit mot-clé ?

C’est la devinette tendance du moment ! Quel est le point commun entre les vocables «violences», «émeutes», «banlieues», «Ségolène», «tsunami», «Bettencourt» et «perquisition» ? A première vue, la résolution de l’énigme semble s’adresser aux neurones chevronnés d’un cruciverbiste niveau 9 tellement ces mots n’entretiennent pas spontanément entre eux de liens sémantiques évidents. Pourtant, un critère identique les unit : ils ont tous été achetés en tant que mot-clé sur Google par l’UMP (Union pour un mouvement populaire), le dernier en date étant celui de perquisition, préempté pendant quelques heures vendredi 10 septembre.

C’est pour tenter d’atténuer l’impact médiatique potentiellement gênant de la visite d’enquêteurs de police au siège du parti présidentiel dans le cadre de l’affaire Woerth-Bettencourt que l’équipe communication de l’UMP a choisi d’acheter le mot clé « perquisition » à la régie publicitaire AdWords de Google. Objectif : mettre en avant sur le célèbre moteur de recherche la position officielle de l’UMP sur la démarche policière au cas où un internaute voudrait en savoir plus sur les tenants et les aboutissants de cette perquisition.

Le lendemain de la descente policière, Nicolas Voisin a été le premier à découvrir le procédé mis en place par le parti majoritaire. Information qu’il a relayée aussitôt sur son fil Twitter. Ainsi, lorsqu’on tapait le mot «perquisition» dans Google au cours de la matinée du 10 septembre, apparaissait alors un lien sponsorisé juste au-dessus du résultat des recherches. Un lien sans équivoque intitulé «L’UMP pas perquisitionné» qui invitait l’internaute à se rendre sur le site du parti pour connaître la version de l’UMP, à savoir qu’il n’est nullement question de perquisition mais «d’une demande de renseignement sur instruction du procureur de la République» et d’un «transport d’enquêteurs» (sic).

Pour les communicants de l’UMP, cette tactique sémantique via Google vise simplement à contrebalancer les effets pervers que les médias génèrent auprès de l’opinion publique. A leurs yeux, ces derniers utilisent en effet un peu trop prestement le mot de «perquisition» pour désigner en fait une simple visite de routine dans le cadre d’un processus judiciaire classique. Interrogé par François Krug, journaliste du site d’information Rue89, le service communication assume pleinement son initiative numérique :

Hier, pendant quelques heures, le mot de “perquisition” a été employé à tort dans l’ensemble des médias, des agences de presse à la télévision. Nous avons décidé de ne pas laisser utiliser à tort ce mot. Nous avons contacté tous les journalistes pour leur expliquer de quoi il s’agissait exactement. Et de son côté, notre pôle Internet a fait de même sur les réseaux sociaux. Ça ne nous arrive pas souvent d’acheter des mots-clés sur Google, mais si ça devait se représenter, on le referait sans problème.

Bien que pleinement revendiqué, le lien commercial disparaîtra malgré tout quelques heures plus tard des requêtes proposées par Google sur le mot «perquisition». Une disparition rapide qui laisse quelque peu perplexe puisque l’achat du mot-clé visait précisément à rétablir durablement un équilibre argumentaire que l’UMP estimait compromis.

Vous avez googlisé un mot ? Ne quittez pas ! L’UMP vous répond

En matière d’achats de mots clés sur Google, l’équipe communication de l’UMP n’en est pas à son coup d’essai. C’est en novembre 2005 qu’elle a étrenné cette approche communicante d’un nouveau genre. A l’époque, l’actualité nationale vit au rythme chaotique des émeutes qui enflamment plusieurs banlieues de grandes villes françaises suite à la mort de deux jeunes, Zied et Bouna, morts électrocutés dans un relais EDF en tentant d’échapper aux policiers qui les poursuivaient.

Dans les médias, les débats sont virulents entre les antis et les pros de la politique de stricte fermeté appliqué par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy. Pour soutenir l’action du «premier flic de France», les communicants de l’UMP sollicitent les services d’une jeune agence conseil en marketing et communication sur Internet. Baptisée «L’Enchanteur des nouveaux médias», l’agence a été fondée en 1999 par deux accros du Web qui ont également en commun d’avoir tâté un peu de la politique : Bruno Walther passé par les rangs de Génération Ecologie et surtout Arnaud Dassier, militant RPR de longue date et ancien chargé de mission d’Alain Madelin au ministère des PME-PMI. Ce dernier est particulièrement actif pour concilier son expertise numérique avérée et son militantisme assumé:

Travailler pour l’UMP, ce n’est pas travailler. J’adore ça. Tous les matins, un comité Internet se réunit au QG du parti et nous donnons vie à la campagne sur le Net.

Très vite en fonction des thématiques du moment où le parti doit se positionner impérativement, germe l’idée d’acquérir des mots clés ciblés en s’appuyant sur le système AdWords de Google. C’est ainsi que début novembre 2005, les adeptes de Google découvrent qu’en tapant des mots comme «racaille», «voiture brûlée», «émeutes», «banlieues», un lien publicitaire s’affiche en plus des résultats trouvés par le moteur de recherche. Un lien qui propose de soutenir l’UMP et l’action de rétablissement de l’ordre de Nicolas Sarkozy. Le résultat est en tout cas payant comme l’explique Arnaud Dassier: «Nous avons des taux de clics bien supérieurs à la moyenne, avec des pointes à 10% ou 15% parfois».

Si certains initiés du Web s’émeuvent de cette pratique jugée plus ou moins déviante, Arnaud Dassier n’en démord pas devant la journaliste qui l’interviewe et n’entend pas cesser la campagne:

Elle se poursuivra tant que les évènements durent, tant que les Français sont inquiets et cherchent des informations sur ce sujet.

De fait, à l’orée de la campagne présidentielle de 2007, les communicants de l’UMP ont à nouveau recouru à l’acquisition de mots clés comme «Ségolène» ou plus étrangement «tsunami». A l’époque, la ficelle numérique avait juste provoqué quelques vaguelettes d’agacement auprès de la blogosphère initiée et des militants 2.0.

Cet été, l’équipe communication de l’UMP a renouvelé l’exercice du mot-clé. Confronté à une tourmente médiatique sans précédent avec l’affaire Woerth-Bettencourt dévoilée par le site d’informations Mediapart, le parti majoritaire a alors bourse délié pour acheter sur une durée limitée plusieurs mots-clés comme «Bettencourt» ou encore «Liliane Bettencourt». But de la manœuvre : mieux positionner sur Google la page de soutien créée pour la circonstance au ministre du Travail, Eric Woerth mis en cause dans les médias. Avec un bandeau au texte explicite : «Soutien à Eric Woerth – l’UMP mobilisée pour soutenir Eric Woerth, un homme droit et intègre».

A la même époque, la bataille des bannières commerciales fait d’ailleurs rage puisque Mediapart utilise lui aussi la technique du lien sponsorisé avec une accroche non moins fracassante : «Affaire Bettencourt – Les révélations Mediapart, Edwy Plenel s’explique». Objectif : promouvoir l’enquête journalistique du site et recruter au passage quelques abonnés supplémentaires dont le site a besoin pour atteindre sa rentabilité.

D’un tsunami politique français à une marée noire médiatique américaine

De l’autre côté de l’Atlantique, BP a également succombé au charme discret de l’influent mot-clé. Pour tenter de se dépêtrer des vagues de protestation qui essaimaient sur Internet pour dénoncer la marée noire du Golfe du Mexique, le géant pétrolier s’est également tourné vers l’usage salvateur du mot-clé. Avec des gros moyens à la clé comparés aux incursions tactiques de l’UMP. En effet, BP a ciblé les trois moteurs de recherche leaders mondiaux (Google, Yahoo et Bing) pour espérer couper l’herbe sous le pied aux opposants de tout poil et mettre en avant ses propres pages Web dédiées à la catastrophe et aux interventions des équipes de nettoyage et de secours.

Sur ces trois moteurs, le pétrolier a acheté les mots-clés les plus communément usités par les internautes comme «Oil Spill» (marée noire), «Gulf Oil» (golfe pétrole), «Gulf Disaster» (golfe catastrophe), «Oil Cleanup» (pétrole nettoyage) et une flopée d’autres encore, tous directement évocateurs de la catastrophe de la plateforme pétrolière. Une initiative confirmée par un porte-parole de l’entreprise qui explique:

Faciliter les recherches des gens qui veulent en savoir plus sur les efforts que nous entreprenons dans le Golfe et les renvoyer plus facilement vers les liens qui ont trait aux dépôts de plainte, aux informations sur les plages souillées par le pétrole et aux appels aux volontaires.

Culture monétaire américaine oblige, des chiffres circulent très vite autour du montant dépensé par BP pour s’assurer la meilleure visibilité possible de ses contenus informatifs. Ainsi, un analyste marketing de New York, Scott Slatin, estime que le pétrolier investit quotidiennement 7500 $ sur Google ainsi que 3000 $ chacun sur Bing et Yahoo.

Là aussi, le procédé n’est pas en soi totalement inédit aux Etats-Unis. Durant leur affrontement électoral lors de la campagne présidentielle de 2008, le candidat républicain John McCain et le démocrate Barack Obama avaient copieusement préempté tous les mots-clés qui leur semblaient décisifs pour pousser l’avantage auprès des votants et obtenir leurs suffrages. La même chose s’est reproduite en 2009 lors des débats épidermiques autour de la réforme du système de santé américain que le président Obama s’évertuait à faire adopter par le Parlement.

Google, une menace pour l’équité de l’information ?

Si d’aucuns n’hésitent pas à s’enthousiasmer sur l’usage des mots-clés en matière de stratégie de communication institutionnelle et politique (le même Scott Slatin a ainsi qualifié l’opération mots-clés de BP d’ «initiative brillante»), chacun peut être toutefois en droit de s’interroger sur ce choix technologique musclé de faire circuler l’information à travers le forceps des moteurs de recherche. Ceci d’autant plus que le processus est plutôt simple à manier.

Une fois l’inscription effectuée sur Google AdWords, le demandeur peut démarrer sa campagne de mots-clés en établissant une liste de mots auquel il souhaite associer son message. A chaque-mot clé retenu, est attribuée une enchère appelée le «Coût Par Clic» (CPC) qui correspond au montant que l’annonceur est prêt à débourser dès que le mot en question sera cliqué par un internaute. Plus le montant de l’enchère est élevé, meilleure sera la visibilité du contenu promotionnel et donc le trafic sur le site référent. Nombreux sont les sites de services et de produits à recourir à cette technique pour accroître le nombre de visiteurs et les transformer en acheteurs potentiels.

Et l’enjeu des mots clés risque fort de s’accentuer encore avec les annonces de Google début septembre 2010 sur la mise en place opérationnelle de son nouveau service «Google Instant». Avec Google Instant, l’internaute visualise en effet en temps réel les premiers résultats suggérés par le moteur à mesure qu’il tape son mot recherché sur le clavier. Autant dire que l’importance d’émerger vite et bien va devenir cruciale surtout en cas de sujet épineux, de crise latente ou de polémique déclarée.

A ce petit jeu potentiellement pervers des mots-clés, s’est également ajouté un troisième outil de référencement sponsorisé. Depuis le 14 septembre, Google a introduit en Europe une autre fonctionnalité concernant les liens commerciaux, fonctionnalité déjà en vigueur depuis plusieurs années aux Etats-Unis. Profitant d’une décision de la Cour de Justice de l’Union européenne, le moteur de recherche permet désormais à n’importe qui en Europe communautaire d’acheter des mots-clés liés à des marques, y compris celles d’un concurrent et sans son consentement.

Dès lors, on peut aisément imaginer que le nom d’un responsable politique, d’un dirigeant économique, une marque ou enseigne d’une entreprise soient indûment capturés par des petits malins dans le but de torpiller un peu plus une réputation, de répandre des informations biaisées ou bien de détourner une audience liée à ce nom à son unique profit. Tant du côté des annonceurs que des agences de communication, la nouvelle a fait grincer des dents. Nicolas Bordas, président de l’AACC (Association des agences conseil en communication) a commenté cette lourde décision:

Cette politique n’est souhaitable ni pour l’économie, ni pour les consommateurs qui risquent d’être trompés par manque de transparence.

Cette libéralisation de l’achat aux enchères de mots-clés si spécifiques a effectivement de quoi susciter des questions. Outre la contrefaçon et le détournement de flux commerciaux qui pointent en filigrane derrière cette option nouvelle offerte par Google, on peut également s’inquiéter des conséquences en matière d’information. Le risque de voir n’importe qui s’arroger le droit de dire n’importe quoi au nom d’un autre (surtout s’il dispose en plus des moyens budgétaires idoines pour acheter ses mots-clés) n’est désormais plus une vue de l’esprit mais une réalité bien tangible.

En matière de clarté de l’information, il n’est pas non plus garanti que le citoyen internaute y trouve son compte. Déjà confronté à une cacophonie numérique plutôt luxuriante, il lui faudra désormais être apte à démêler qui parle de quoi, à quel titre et dans quel contexte.

Un challenge qui est loin d’être gagné lorsque l’on sait que 4 Américains sur 5 ne font à l’origine pas la différence entre un lien sponsorisé et un contenu résultant d’un référencement naturel. C’est l’enseignement qu’a mis en exergue une étude menée en 2005 par Pew Internet & American Life auprès de 2200 internautes. 62% déclaraient ignorer les différentes catégories de résultats qu’un moteur de recherche pouvait leur restituer. 82% se déclaraient même incapables de faire la différence entre un contenu poussé commercialement et un contenu indexé automatiquement. Lorsqu’on sait en plus que l’immense majorité des internautes ne va guère au-delà de la première page de résultats (lorsque ce n’est pas en deçà des 10 premières propositions), il y a de quoi s’inquiéter pour la chaîne de l’information.

Conclusion : quelle clé aux maux des mots-clés ?

L’engouement naissant pour le dopage de contenus à coups d’acquisition de mots-clés n’augure pas forcément de bonnes choses. Si faire entendre sa voix dans le concert médiatique se résume désormais uniquement à l’usage des liens commerciaux survitaminés, il y a fort à parier que le débat sociétal et l’agora informationnelle ne vont guère gagner en pertinence, en qualité et en diversité.

Que certains communicants politiques et institutionnels veuillent s’emparer du Web pour défendre et promouvoir les positions de la structure qu’ils représentent, peut se concevoir aisément. Encore faudrait-il que cette démarche procède plutôt de l’engagement et de la conversation durables plutôt que de manœuvres tactiques opportunistes où prime seulement la capacité à mieux maîtriser les mots-clés d’une thématique donnée.

L’initiateur de la stratégie numérique de l’UMP, Arnaud Dassier, semble lui-même conscient qu’il approche le «borderline». Sur son blog personnel, il n’hésite pas à brocarder l’actuelle conception de la présence numérique de l’UMP :

Il serait temps que l’UMP réinvestisse l’Internet, non comme elle le fait actuellement, en l’utilisant exclusivement comme un relais supplémentaire pour écouler sa propagande ou ses critiques de l’opposition, mais en participant aux débats qui s’y déroulent de manière constructive. Dans ce domaine, il est symptomatique et dommage que l’UMP ait abandonné son blog depuis près de 2 ans: http://blog-ump.typepad.fr. Malheureusement aujourd’hui, l’esprit qui anime les responsables de l’UMP vis-à-vis de l’Internet, essentiellement ressenti comme une boite de Pandore et le repaire de ses ennemis, est plutôt celui de la «riposte» et de la contre-propagande, comme l’a annoncé récemment Benjamin Lancar. Il faut évidemment répondre aux attaques sur le Net, mais cela ne doit en aucun cas être le principal axe stratégique de la cyber-communication de l’UMP, et encore moins faire l’objet d’effets d’annonces qui donnent une image inutilement agressive de l’UMP, et sonnent comme un aveu de faiblesse.

Le dernier avatar en date autour du mot «perquisition» laisse penser qu’on est encore loin d’un état d’esprit ouvert et participatif mais plutôt propagandiste et opportuniste.

Et pour élargir la réflexion de manière plus globale en matière d’éthique et d’usage du numérique, on peut également regarder la vidéo de Fabrice Epelboin. A passer en boucle dans certains QG de communicants !

Crédits photos FlickR edmittance, Matt McGee, nicasaurusrex, Calamity Meg.

Article initialement publié sur Le Blog du Communicant 2.0.

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