À quand des ebooks enrichis ?

Le 4 octobre 2010

Texte brut ou, au mieux, illustrations entre les chapitres, la présentation des textes sur ebook reste pour l'instant très sommaire. Les éditeurs pourraient profiter des futures technologies pour enrichir directement l’œuvre.

Voilà près de 3 ans que les ebooks (et e-readers) sont commercialisés auprès du grand public. Après un démarrage timide (euphémisme), le marché du ebook est en pleine explosion aux États-Unis sous l’impulsion d’Amazon et de son Kindle (ils ne communiquent pas ouvertement sur les chiffres, mais il semblerait que le point de bascule ne soit plus très loin avec le lancement du Kindle 3 : xx). Mais le reste du monde n’est pas en reste avec un marché asiatique très dynamique (boosté par des géants de l’électronique grand public comme Sony ou Samsung), mais une Europe manifestement à la traine. Je ne souhaite pas rentrer dans une laborieuse explication des raisons de ce retard (prix beaucoup trop élevé, trop peu de titres disponibles, faible choix dans les e-readers…) car cela ne ferait qu’enliser mes propos dans un débat houleux. Je préfère ainsi essayer d’imaginer comment l’industrie du livre pourrait développer un nouveau type de produit : le ebook enrichi.

Un texte enrichi, mais pas de multimédia

L’idée de donner vie à une œuvre n’est pas nouvelle : L’iPad fait ça très bien avec de superbes œuvres animées comme Alice in Wonderland ou Grimm’s Rumpelstiltskin. Autant je ne peux qu’admirer le magnifique rendu de ces versions, autant je suis en droit de m’interroger sur leur nature même : Livre animé ou application multimédia ?

Quand on y regarde de plus près, cet Alice in Wonderland est plus proche du DVD-Rom interactif remasterisé à la sauce tactile que du livre électronique. De plus, cette version nécessite impérativement un écran couleur de très bonne qualité, le type d’écran qui vous fatigue les yeux et vous empêche de réellement lire à l’écran. La solution est donc à trouver ailleurs, car il n’est pas besoin de vidéos ou d’animations HD pour faire vivre une œuvre. Nous avons ainsi l’exemple de Charlie Orr qui propose d’animer les couvertures de livres pour les rendre plus attractives : The Digital Book Cover. Nous ne parlons pas d’animation en 1080p-3D-100Hz, mais plutôt d’animations toutes simples qui donnent vie et illustrent sans nécessairement engendrer de gros coûts de production :

Encore une fois l’idée n’est pas de faire mieux qu’un DVD-Rom ou un jeu vidéo, mais plutôt de faire un tout petit mieux que les ebooks que nous connaissons. Car il faut bien reconnaître que les livres électroniques actuellement commercialisés sont terriblement pauvres, ce ne sont que de simples versions numérisées des manuscrits. Nous pourrions ainsi comparer les ebooks aux sites web « plaquettes » du siècle dernier. Quel dommage de ne pas pouvoir donner vie au texte et plonger le lecteur dans une expérience plus immersive.

Enrichir directement le texte

J’ai déjà eu l’occasion de vous parler de formats hybrides comme Level 26, un livre associé à des vidéos que les lecteurs peuvent récupérer sur le site-compagnon. Cette première expérimentation à grande échelle est certes très intéressante, mais nous parlons ici de contenus additionnels similaires aux bonus d’un DVD : Ils viennent avant ou après l’œuvre, mais pas pendant.

L’idée que j’ai derrière la tête est plus d’enrichir directement l’œuvre et pas seulement l’inter-chapitrage. Même si les ereaders actuellement proposés sur le marché sont techniquement limités (l’encre électronique a fait de gros progrès en matière de lisibilité mais reste N&B et statique), la prochaine génération de lecteurs va autoriser des choses beaucoup plus intéressantes avec de la couleur et un taux de rafraichissement suffisant pour faire des animation fluides (mais pas de la vidéo Full HD). Qualcomm est ainsi en train de finaliser sa technologie Mirasol qui s’inscrit tout à fait dans ce cadre :

Améliorer l’aspect visuel des livres est une chose, mais il serait également possible d’améliorer considérablement l’expérience de lecture en « activant » deux sens supplémentaire : l’ouï et le toucher.

Animations, bruitages et vibrations au service de la narration

Il ne serait ainsi pas très compliqué (ni trop coûteux) de rendre un texte plus vivant en l’enrichissant de raffinements graphiques, de bruitages et de vibrations. Souvenez-vous l’idée est de rendre un texte plus vivant et non de concurrencer la vidéo. Animoto est un bon exemple sur le créneau des diaporama enrichis : Créer une œuvre émotionnellement plus riche à partir d’une matière première brute (le texte).

Nous pourrions ainsi envisager un certain nombre d’enrichissements graphiques pour les ebooks :

  • Une couverture animée ;
  • Des effets typographiques (ex : une typographie associée à chacun des personnages dans un dialogue) ;
  • Des transitions animées ;
  • Des fonds de page illustrés pour « poser » le décor ;
  • Des animations (vibration ou ondulation du texte)…

De même, il y aurait beaucoup de chose à faire avec un enrichissement sonore :

  • Musique pour introduire un chapitre ;
  • Ambiance sonore de fond pour installer l’ambiance d’un passage (ex : bruits de circulation, de foule, de mer, de gare, vent dans les arbres, tic-tac d’une horloge…)
  • Courts passages récités par des acteurs…

Et tant qu’on y est, nous pourrions même fantasmer sur des vibrations (ex : Lors d’une course poursuite ou pour accompagner la description d’un tremblement de terre). Des vibrations qui pourraient également être synchronisées avec la lecture pour accentuer une explosion, un coup de feu (à l’aide d’une technologies de eye-tracking appliquée aux e-readers : Vers des interfaces transparentes pour les ebooks ?).

Bref, les possibilités sont nombreuses et les œuvres y gagneraient en intensité. L’application la plus réaliste à laquelle on peut penser est la conversion des BDs et mangas. Une version numérisée et enrichie justifierait un prix de vente élevé et permettrait de dégager des revenus complémentaires pour les éditeurs (tout comme vous êtes tenté d’acheter la version Blu-Ray 3D d’un film que vous avez déjà en DVD, vous pourriez être tenté d’acheter la version enrichie d’une BD que vous possédez déjà en papier). Qui ne se laisserait pas séduire par un Tintin remasterisé ?

D’autres applications pour mieux apprécier un texte

Nous pourrions également envisager d’autres fonctionnalités :

  • Nettoyer le texte des mots vulgaires ou des descriptions trop crues pouvant heurter la sensibilité des plus jeunes ;
  • Pourvoir basculer d’une narration à la première personne vers une narration à la troisième personne (ex : « J’ouvris la porte » > « Il ouvrit la porte« ) ;
  • Localiser une Å“uvre en changeant les paramètres régionaux (ex : lieux cités, prénoms utilisés…) ;
  • Mettre à disposition un assistant à la compréhension d’une intrigue particulièrement compliquée (ex : liste des protagonistes et diagramme de relation façon organigramme, résumé des chapitres déjà lus, historique des déplacements d’un personnage sur une carte…).

Certes, tout ceci pourrait vous amener à penser qu’il y a un risque de dénaturer l’œuvre originelle, moi j’y vois plus un moyen d’améliorer l’expérience de lecture et d’apporter de la valeur ajoutée à un lectorat qui passe de plus en plus de temps devant un écran.

Pour le moment tout ceci n’est que pure spéculation de ma part, mais si vous avez des exemples à me donner ou des projets à me présenter, je suis preneur.

Une nécessaire évolution

Les plus sceptiques d’entre-vous pourraient assimiler ces enrichissements à un gadget, mais d’un point de vue « marché », les ebooks n’apportent qu’une valeur ajoutée très faible par rapport à leur équivalent papier (surtout quand un livre électronique est vendu le triple de la version livre de poche). L’enrichissement des œuvres semble donc être un bon moyen de justifier à la fois un prix de vente élevé (afin de maintenir les marges des éditeurs) et un équipement des lecteurs qui doivent investir dans un e-reader.

Ma vision est peut-être extrêmement naïve, mais je vois mal comment faire décoller les usages alors que l’offre est aussi pauvre. Certes, le marché va pouvoir compter sur les initiatives d’acteurs industriels (Amazon vient juste d’ouvrir la version anglaise de son Kindle Store et Google lancera d’ici la fin de l’année son offre Google Editions au Japon) mais il manque à mon sens un stimuli fort pour viabiliser le créneau. Les interfaces riches au secours de l’e-édition ? Pourquoi pas…

> Article initialement publié sur le blog de Fred Cavazza

> Illustration de Elliot Lepers pour Owni

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