La revanche des esprits moyens

Le 25 octobre 2010

Pour régler certains problèmes scientifiques, il n'est pas nécessaire d'avoir énormément de connaissances. Certains projets ludiques combinent la puissance de l'ordinateur et l’habileté des utilisateurs pour déterminer la structure 3D des protéines ou gagner aux échecs.

Dans la forêt de projets de science participative « Foldit », qu’on pourrait traduire par “pliez-le”, tient le haut du panier. Que veut-on plier ? Des protéines bien sûr ! Les protéines, quand elles sont fabriquées dans la cellule sont d’abord linéaires, comme des colliers de perles. En quelques nanosecondes, elles se replient sur elles-mêmes pour former une structure 3D essentielle à leur bon fonctionnement. Déterminer la structure 3D des protéines est un problème important en biologie. On peut le faire expérimentalement, dans un tube à essai, c’est long, coûteux, et cela ne marche pas avec toutes les protéines. On peut aussi le simuler par ordinateur, mais il faut une puissance de calcul énorme.

Foldit est un jeu en ligne qui fournit à l’internaute de véritables séquences de protéines dépliées, à lui de trouver les solutions de repliement les moins coûteuses en énergie, les plus élégantes. Le jeu ne nécessite aucune connaissance en biochimie.

Foldit existe depuis 2008, et des championnats de repliement de protéines sont régulièrement organisés. Lors de ces championnats, des biochimistes professionnels sont confrontés à des joueurs acharnés de la communauté Foldit. Surprise, les meilleures équipes d’amateurs font au moins aussi bien (.pdf) que les équipes de professionnels.

La déculottée des maîtres

Cela m’a rappelé une deuxième histoire. 1997 : l’ordinateur Deep Blue bat Garry Kasparov aux échecs. Garry Kasparov invente alors les échecs avancés, où l’homme ne combat plus l’ordinateur mais est assisté par la machine. Des tournois sont organisés où des équipes constituées de paires d’homme/machine, s’affrontent entres elles. Résultat étonnant : les paires gagnantes ne contiennent pas les meilleurs maîtres d’échecs,  ni les programmes les plus performants… non, les paires gagnantes sont constituées de jeunes geeks, joueurs d’échecs moyens, qui utilisent des programmes d’échecs grand public.

Dompter les outils

Ces deux histoires semblent vouloir nous dire la même chose : pour certaines activités, ce n’est pas le degré de connaissance en soit qui importe, ce n’est pas non plus la puissance de la machine dont on dispose… Par contre, l’habileté à utiliser l’ordinateur : savoir quoi en attendre, à quel moment l’utiliser, quand ne pas l’utiliser, quand vaut-il mieux faire confiance à son intuition qu’à la machine… Ce sont ces compétences là qui font la différence. Pour le dire vite, ce qui est décisif, c’est savoir faire le meilleur usage de la machine.

Au-delà des échecs et du pliage de protéines, chercher la meilleure alliance possible avec les machines, c’est notre problème à tous face aux technologies de l’information et de la communication (TIC). Et là, cela ne vous aura pas échappé, nous ne sommes pas tous égaux. Certains paramètrent savamment leur e-mail, gèrent les fils RSS et leur profil sur les réseaux sociaux… En général, ceux-là savent aussi quand il faut couper la connexion. D’autres se débattent douloureusement avec ces outils, d’autres encore les boycottent et s’en privent, ou à l’inverse sombrent dans la surconsommation et l’overdose.

Heureusement que le système éducatif français dans sa grande sagesse l’a anticipé ! Heureusement qu’il forme nos élites à maîtriser les usages et pas à ingurgiter des connaissances d’une utilité douteuse aussitôt oubliées une fois l’examen passé…

>> Article initialement publié sur Recherche en cours.

Illustrations Creative Commons FlickR par futileboy, Haukur H., Argonne National Laboratory

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