Wordpress: le nouveau Gutenberg

Le 2 décembre 2010

La plateforme du publication la plus utilisée ne cherche pas à monétiser sa position dominante. Elle s'appuie sur Automattic, une société de service aux entreprises. Entretien avec ses fondateurs: Matt Mullenweg et Toni Schneider.

Il y a un an, Justin Halpern était un scénariste au chômage qui avait dû retourner vivre chez ses parents, à San Diego. Aujourd’hui, il a 1,4 millions de followers sur Twitter, son livre est en tête du classement des best-sellers du New York Times et il  scénarise une série sur CBS avec William Shatner. Tout ce qu’il a eu besoin de faire, c’est de publier sur Twitter des citations de son père sous le compte Shit My Dad Says.

Wordpress, équivalent de l’imprimerie de Gutenberg

Coucou, c'est moi qui ai inventé WordPress.

La technologie et les médias sociaux sont en train de redéfinir la feuille de route vers le succès éditorial. Et pour chaque Justin Halpern, il y a 10 000 auteurs professionnels qui se demandent comment transformer les blogs, microblogs et fils Twitter en empires médiatiques. Et ce particulièrement en ce moment, alors que les magazines, les journaux et les groupes de médias faiblissent à une vitesse inquiétante. Les blogs, bien sûr, sont le premier refuge pour les auteurs professionnels échappant aux médias traditionnels agonisants et pour les hordes de wanna-be écrivains à la recherche de leur propre voix. Pour tout ceux-là, WordPress.com est devenu l’équivalent au XXIème siècle de l’imprimerie de Gutenberg.

En tant que première plateforme de blogging, WordPress est un outil essentiel dans la transformation des médias. WordPress.com héberge 11 millions de blogs diffusant les enthousiasmes, les opinions et les idées de ses auteurs vers ses 256 millions de visiteurs uniques mensuels. A l’inverse des géants comme Facebook ou Twitter, WordPress n’est pas évalué à plusieurs milliards de dollars par un gang entier d’investisseurs en capital risque. C’est parce que WordPress est en open-source, ce qui signifie que n’importe qui de compétent peut créer le sien. La seule contrainte est de ne pas l’appeler WordPress.

Hello World! Welcome to Automattic

Ça ne veut pas dire que les créateurs de WordPress sont altruistes. Ils gagnent aussi de l’argent. Matt Mullenweg, le jeune homme de 26 ans qui a créé WordPress il y a sept ans après un an chez Cnet, a fondé en 2005 une entreprise, Automattic,en pour vendre des services autour de WordPress. En tant que PDG, Mullenweg a engagé Toni Schneider, un ex-cadre de Yahoo! qui développait le réseau des développeurs du site et était l’ancien PDG de Oddpost, un service de mail payant racheté par Yahoo! pour 30 millions de dollars en 2004. Ensemble, ils ont levé 31millions de dollars auprès d’investisseurs, parmi lesquels le New York Times.

Entreprise rentable, Automattic tourne avec une petite équipe de 60 personnes, pour la plupart des développeurs qui travaillent depuis différents endroits, sur trois continents et sans bureaux communs (vous pouvez voir les noms et leurs localisations ici (anglais). L’entreprise est une entité furtive. Les employés d’Automattic coordonnent leur travail via un chat IRC et se rassemblent régulièrement dans différentes villes du monde entier. Cela pousse Mullenweg sur la route plus de la moitié de l’année, campant dans des chambres d’hôtel avec ses collègues pour travailler en cercle, les ordinateurs portables ouverts.

Cela peut sembler être un modus operandi étrange pour une structure qui supporte l’un des sites d’information les plus fréquentés et les plus exigeants. Mais vous n’avez pas besoin d’être bohème pour apprécier le pouvoir du blogging. CNN, BBC, Time, Fortune, the NFL, CBS Radio, ROsetta Stone, TechCrunch, LinkedIn, Discovery, the SEC et GigaOm le pensent. Ils hébergent tous leurs blogs sur Wordpress.com. Beaucoup d’autres entreprises utilisent également le code en open-source pour faire tourner leurs propres sites hébergés sur leurs propres serveurs.

Une structure flexible et open-source

Dans tous les cas, une partie de l’attrait de l’entreprise pour les grands médias réside dans la mise à disposition pour les grandes structures d’une agilité à petite échelle. “Une chose que nous observons avec nos clients VIP”, nous dit Schneider, “c’est que les grandes organisations regardent ces services au consommateur et disent: on veut ça. On s’en fiche que cela vienne du côté du consommateur”. Ce qu’ils veulent, c’est la capacité de travailler avec le SEO, les applications mobiles et le contenu multimédia inclus dans WordPress.

Schneider croit que l’avantage de WordPress va se multiplier alors que le web s’oriente de plus en plus vers les applications mobiles. “Il y a de plus en plus de gens qui gèrent leurs blogs depuis des appareils mobiles”, explique Schneider. Et les organisations d’info mainstream suivent la tendance aussi, avec de plus en plus d’auteurs rassemblant des informations et les diffusant via des smartphones.

C’est là que WordPress semble attaquer les choses en profondeur. “Si les gens consomment votre contenu à différents endroits”, remarque Schneider, “vous n’avez pas à faire tout le boulot. Si quelqu’un visite votre blog depuis un navigateur Internet, une tablette ou un appareil mobile, nous pouvons nous assurer que votre contenu soit présenté le mieux possible sans que vous deviez revenir en arrière et le modifier. C’est en fait dans notre intérêt qu’il y ait autant d’appareils différents que possible, parce que nous pouvons nous adapter à tous. C’est quelque chose dont nous pouvons nous occuper sous le capot”.

Les projets open-source ne sont pas vraiment des démocraties… ce sont plutôt des méritocraties

Tout est sous le capot parce que Mullenweg gère l’aspect développement comme une bataille en open-source de mots et d’égos.

Il est à la tête d’un consortium de développeurs qui essaient de se surpasser les uns les autres en apportant la meilleure réponse  possible à la multitude des besoins des blogueurs. “Les projets open-source ne sont pas vraiment des démocraties…”, explique Mullenweg qui va passer les prochaines semaines à travailler à Montréal pour pouvoir trainer au festival Jazzfest. “…Ce sont plutôt des méritocraties. Du coup, les gens qui sont les plus passionnés à propos de quelque chose ou le plus capables de faire le boulot tendent à émerger et développent une autorité contextuelle”.

Avec la flexibilité liée au développement open-source, Automattic est libre de fonctionner sous une forme d’organisation différente – quelque chose qui semble un peu trop décontracté et humble pour une entreprise de la Silicon Valley. “Souvent, les gens finissent par nous considérer comme leur hébergeur”, dit Toni Schneider, expliquant la manière dont Automattic fonctionne avec certains de ses gros clients. “Mais parce que c’est open-source, ils peuvent traiter tout cela en interne à n’importe quel moment. Du coup, on dit: si vous voulez être hébergés par nous, vous nous payez. Si vous voulez juste utiliser le logiciel, vous êtes tout seul”.

Alors que la plupart des entreprises s’inquiéteraient de perdre des clients, Schneider est bien plus heureux de garder son équipe petite et rentable: “Nous avons été capable de développer notre business sans avoir à embaucher massivement en amont”. En effet,  les revenus d’Automattic viennent des mises-à-jour, des publicités vendues contre 10% des 256 millions de visiteurs, des services aux entreprises comme l’établissement de partenariats et des services annexes comme des logiciels anti-spam. Les mises-à-jour comptent pour environ 40% du revenu, et les publicités et les services aux entreprises se partagent à parts égales les 60 % restants.

Wordpress transforme les aspirations des auteurs

Mais cela ne veut pas dire que Mullenweg voit ses clients d’entreprises comme ses principaux clients. “Nous voyons vraiment l’auteur et l’écrivain comme notre principal utilisateur”, dit Mullenweg avec le ton d’un idéaliste de 26 ans. “Si nous pouvons créer quelque chose que les gens adorent utiliser pour écrire et composer, vous savez, c’est un acte sacré”.

Fondamentalement, WordPress transforme les aspirations des auteurs. Mullenweg méprise plus ou moins l’idée qu’être auteur est un vrai métier. Pour lui, c’est une vocation. “Tout ça nous ramène à ce qui motive les gens à bloguer. C’est la reconnaissance, l’audience et la joie d’écrire, plus que de la pure monétisation”.

Le fait que tenir un blog soit plus motivé par la passion que par le profit est bien pratique. Car Automattic et tous ses petits génies de l’open-source n’ont pas trouver de modèle économique pour l’industrie du blogging. “Les opportunités de monétisation du blog sont relativement ternes en ce moment” explique Mullenweg. “Vous avez Google AdSense, ou vous pouvez conclure un accord avec Federated Media, si vous êtes vraiment populaire. Si vous voulez faire de l’argent sur AdSense, vous devriez écrire à propos de prêts hypothécaires, du viagra ou de mésothéliome. (anglais) Cela crée une mauvaise forme de motivation.”

Les gens sont récompensés pour leurs blogs, pas forcément sur leurs blogs

Il est petit, il a tout compris

Les blogs, cependant, ne sont constitués de rien d’autre que de passion. Une minorité microscopique, surtout dans le domain

edes technologies, a été capable de transformer ses blogs en de véritables business publicitaires. Mais la plupart des blogueurs se font payer d’une autre façon. “Les gens sont récompensés pour leurs blogs,” dit Mullenweg “pas forcément sur leurs blogs. Les gens commencent à donner des conférences. Ou à trouver du boulot. On voit des éditeurs utiliser le trafic d’un blog comme indicateur d’audience. Ou alors ils ont la satisfaction d’engager la conversation avec un lectorat, ce qui n’est à mon avis pas anodin”.

Vous n’êtes peut-être pas capable de gagner directement de l’argent grâce à votre blog, mais cette pratique peut vous ouvrir des opportunités dans votre domaine. Le micro-blogueur Justin Halpern en est le meilleur exemple. Mullenweg et son équipe de développeurs en sont un autre. WordPress n’essaye pas de faire du profit, mais Automattic, qui aide les entreprises à utiliser tout le potentiel de Wordpress, en fait.

“Si nous pouvons démocratiser la publication,” dit Mullenweg avec son idéalisme affiché, “si nous pouvons faciliter au maximum ces mécanismes de communication et les rendre omniprésents, le monde devient meilleur, et c’est très motivant pour tout le monde”. C’est peut-être le cas si vous pensez que des choses comme “Shit My Dad Says” rendent réellement le monde meilleur.

Et vous avez ici toute l’énigme de l’innovation de Mullenweg. Il a apporté des outils de publication professionnels à des amateurs, mais seulement un sur un million sera capable de faire de l’écriture sa profession.

Billet originellement publié par Marion Maneker sur Goodnight Gutenberg, un blog de The Big Money.

Crédits Photo CC Flickr : Thomas Hawk, Peregrino Will Reign, danpeerflix

Traduction : Martin Untersinger et Guillaume Ledit.

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés