37 Signals: leadership 2.0 en action

Le 2 janvier 2011

L'entreprise américaine 37signals fonctionne selon des règles qui détonnent par rapport au modèle traditionnel. Et cela marche, si l'on en croit sa bonne santé et son influence.

La question que l’on me pose souvent lorsque je saoule mes potes/collègues/mon chien avec les enjeux de l’intégration des digital natives dans l’entreprise est la suivante : comment faire pour convaincre les tenants de cette culture d’adhérer à un projet commun, une réalisation commune, une vie professionnelle commune ?

La réponse est d’une évidence biblique : le leadership. Un leadership pour une génération post-idéologique. Dont l’essence réside dans des principes simples et clairs à mettre en œuvre plutôt que dans des valeurs ronflantes auxquelles personne ne croit.

Si l’entreprise 2.0 est l’immersion graduelle de l’organisation dans la culture web, au sein des digital natives companies cette culture est immanente, il s’agit d’un postulat tacite.

Pour illustrer cette assertion (et comme promis), une présentation de 37signals [en], une entreprise d’indigènes du numérique qui obtient des résultats remarquables tant au niveau comptable qu’au niveau de l’influence dont ils jouissent dans l’industrie online.

Anti nonsense manifesto

37signals est initialement une web agency créée à Chicago par Jason Fried au tournant du siècle. Il ne s’agit pas juste d’une autre web agency. Elle affiche déjà des principes forts avec son manifesto originel : ergonomie, design, simplicité, productivité, no nonsense.

Il s’agit d’une petite structure où les collaborateurs sont distribués aux quatre coins des États-Unis. Pour résoudre ce problème 37Signals décide de développer une application de gestion de projets.

La petite équipe recrute David Heinemeier Hansson [en] qui n’utilise aucune des technologies standards (Java, PHP etc.) pour le développement. La raison : ces technologies sont trop complexes et pas suffisamment productives. Fan de l’agilité et de la souplesse d’un obscur langage de script inventé une dizaine d’années plus tôt (Ruby), il développe son propre framework de développement web : Ruby on Rails [en].

Au terme d’une réalisation rapide, 37signals propose le service Basecamp [en] en mode SaaS et passe le cap du millionième utilisateur [en] en novembre 2006.

Start-up with an opinion

Le framework RoR suscite l’adhésion de la communauté du développement logiciel à l’époque fortement orientée technologies Java.

Des pointures telles que Martin Fowler [en] ou Bruce Tate louent [en]la grande simplicité et les principes forts de ce framework (convention over configuration etc.).

Getting real

De l’expérience tirée par le développement de cette application et de son succès, Jason Fried rédigera un essai : Getting real [en].

Livre que l’on peut lire gratuitement sur le web et qui aura un écho retentissant pour ses positions férocement anti-corporate et ses principes radicaux : pas de spécifications, pas de planning, pas de réunions, faire moins [en] de fonctionnalités que la concurrence mais mieux les penser et réaliser, ne pas anticiper sur des problèmes que l’on n’a pas encore (scalabilité, etc.) et embrasser les contraintes, authentiques opportunités d’innovation.

Une sorte de pierre philosophale de l’alternative business [en] qui contribue au flot continu de nouveaux lecteurs sur le blog Signal vs. Noise [en]. Ainsi nait une réputation qui permet, entre autres, à Fried et Hansson [en, vidéo] de donner des conférences qui arrondissent généreusement les revenus de la société.

The next small thing

Toutes les start-ups rêvent de grossir encore et encore pour devenir d’importantes multinationales ?

37signals met un point d’honneur à demeurer une très petite entreprise : ils ne sont qu’une vingtaine aujourd’hui. Cette taille modeste leur permet de rester extrêmement agile, de progresser par petites touches et leur évite d’avoir à prendre de grandes décisions. Surtout, cela leur permet de se concentrer sur le cœur [en, pdf] sur leur activité et d’élaguer tout ce qui n’est pas fondamental.

L’accent est mis sur la productivité et la confiance : ” (J. Fried, [en]).

Et bien évidemment la simplicité, cette “sophistication ultime” selon Léonard de Vinci : “Simple requires deep thought, discipline, and patience – things that many companies lack.” (Matt Linderman)

Business model conundrum

Dans son excellente présentation A Secret to making money online [en, vidéo] à Stanford en 2008, Hansson prend le contre-pied des start-ups (présentes à la conférence pour vendre leurs idées aux investisseurs) et introduit avec un humour implacable, la réflexion qui a amené le business model :

The classic conundrum : You have a

1-great application and then
2-?????? (something magical happens and then)
3-You make profits.

We have been doing research, experiment etc. We found out that the best option for us was to 2 – put a price on the application to make profit. It’s too simple to be true but believe me it works.

Indépendance financière

Encore à l’opposée de la majorité des start-ups, 37signals a fait le choix courageux de facturer ses services sur la base d’un abonnement mensuel aussi facile à souscrire qu’à annuler. L’objectif est d’assurer une indépendance financière.

À ce titre, ils n’ont accepté qu’un seul investisseur à ce jour : Jeff Bezos [en]. Bezos, qui connait deux-trois trucs sur le online business, leur garantit une confiance totale et s’interdit la moindre ingérence dans leurs affaires.

Anecdote amusante : lorsqu’ils ont officiellement démarré le service Basecamp ils ne savaient pas encore comment ils allaient le facturer à leurs clients à la fin du mois. Il ont monté leur solution de paiement dans les trente jours avant l’échéance. Du just in time hardcore.

Working hard is overrated

Toutes les start-ups ont la culture de l’overtime ? DHH s’en prend ouvertement [en] à Jason Calcanis [en] lorsque ce dernier recommande dans ses principes de gestion d’une start-up [en] de ne recruter que des workaholics.

Leur position : designer, concevoir et développer des applications est un métier créatif et il est impossible d’être créatif plus de quatre ou cinq heures par jour. 37signals décide donc de passer à la semaine de quatre jours [en] (woops ! merci Sylvain). Working hard is overrated [en] indeed pour citer l’impeccable Caterina Fake [en], la foundatrice de Flickr.

No meeting

Le Mal pour Fried et ses lascars : les interruptions. L’incarnation du Mal, l’Antéchrist, ce sont les réunions. Selon Fried, pour être créatif il faut être dans la zone, une sorte d’état second nécessitant concentration et toutes ces interruptions empêchent d’y parvenir.

Pour communiquer de manière fluide sans interrompre les tâches des uns et des autres ils créent le service Campfire [en], un business group chat.

Ban the four letter words

Le leadership c’est aussi une communication saine et maitrisée. 37signals a ainsi banni une série de four-letter-words [en] de son vocabulaire. Ces mots simples et passe-partout qui ont souvent des effets désastreux : must, need, just, cant, easy, only, fast.

Reality is a terrible collaborator

Pour Fried, le planning ne sert à rien [en]. Il ne s’agit que de vagues suppositions qui ne servent qu’à rassurer un management avide de contrôle.

À quoi bon perdre du temps à prévoir l’avenir quand Reality is a terrible collaborator [en]. Où serons-nous dans dix ans ? In the business (Fried).

Do the right thing

L’incontournable Peter Drucker distingue le leadership du management en ces termes : “Management is doing the things right, while leadership is doing the right thing.”

En proposant des services simples mais parfaitement pensés et conçus à des SMBs qui le plébiscitent [en], et en s’appuyant sur des principes forts qu’ils appliquent sans transiger, Fried et Hansson donnent une grande leçon de leadership.

Cette intransigeance est parfois identifiée à de l’arrogance : ils cultivent ainsi un grand nombre de détracteurs. Ce qui alimente davantage un réservoir d’admirateurs s’identifiant d’autant plus à la marque et sa culture que ses opinions sont tranchées et en ligne avec l’action.

Leur statut d’icône 2.0 est scellé par la présence de Basecamp dans la mythique présentation Meet Charlie [en], à ce jour la meilleure introduction aux enjeux de l’Entreprise 2.0.

Wrongfooted enterprise

37signals a démontré avec panache que les digital natives savent gérer leurs affaires en intégrant complètement les contraintes et caractéristiques du monde du XXIe siècle. Pour un effet de levier ahurissant : douze personnes (sur quatre jours) pour une société qui propose des services informatiques à des centaines de milliers d’utilisateurs. Le tout en prenant le contrepied parfait des principes au cœur des organisations telles que nous les connaissions au siècle dernier.

Toujours Peter Drucker, cette fois-ci dans Management challenges of the XXIst century :

La contribution du management au XXe siècle : une productivité multipliée par 50 chez le travailleur manuel. La plus importante contribution que le management doive apporter au XXIe siècle ? Identiquement d’accroître la productivité du travailleur du savoir.

Cet objectif d’augmentation de productivité du travailleur du savoir est manifestement atteint chez 37signals.

À bien y réfléchir il s’agit probablement là du motif principal de crainte de l’entreprise devant la mise en œuvre d’une approche 2.0 : pour la première fois depuis le taylorisme, elle est confrontée à un modèle alternatif et insaisissable qu’elle ne comprend pas et qui rencontre une insolente réussite.

Billet initialement publié sur #hypertextual ; image CC Flickr Mike Rohde

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