SOS, RH en détresse

Le 20 octobre 2011

OWNI a recueilli le témoignage d'une ancienne salariée du Groupe SOS, le champion français de l'entrepreneuriat social. Par-delà son histoire personnelle, c'est un regard sur l'évolution du groupe qu'elle porte.

« Ils m’ont jeté comme une vieille chaussette », résume, lapidaire, Jeanne1. « Ils », c’est le Groupe SOS2, géant de l’entrepreneuriat social, 4.000 salariés, 200 associations et entreprises, une croissance annuelle de 25% depuis 5 ans, et un crédo simple, « conjuguer utilité sociale et efficacité économique ». En clair : gérer le secteur social avec les méthodes du privé. Plus efficaces, peut-être, plus brutales aussi, si l’on en croit le parcours de Jeanne. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, Jean-Marc Borello, le directeur général du Groupe SOS, conteste ce regard porté sur sa gestion.

Jeanne est une historique de Groupe SOS. À l’origine de cet empire venu de la nuit, on retrouve Régine, celle des P’tits papiers et des boîtes de nuit, qui fonde en 1984 SOS Drogue Internationale (SOS DI). Elle embarque dans l’aventure Jean-Marc Borello, un ancien éducateur passé au début des années 80 par la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie. Entrée par la petite porte à une époque où le groupe est encore centré sur son cœur historique de métier, la toxicomanie, Jeanne suit le sillage flamboyant de Jean-Marc Borello, homme de réseau à la forte personnalité, dont le nom sera vite indissociable de la structure : « il a une ambition dévorante et on a envie de le suivre. En même temps, il a du charisme. » Fascinée et sincère : « J’ai suivi le mouvement, ça m’intéressait, le monde de la nuit et je me suis découvert un intérêt pour la population des toxicomanes. »

C’est la belle époque, celle des soirées du jeudi qui réunit les fidèles de Jean-Marc Borello, celle des sacrifices personnels, aussi :

On se couchait à 3-4 heures du matin, le lendemain, on pouvait arriver à midi, c’était pas un problème, on était cadre. On bossait fort aussi, attention. À un moment, c’est gavant. C’est quelqu’un qui vous suce un peu aussi. Ce n’est pas un affectif très sain, il fallait y être, et des fois j’y allais parce que je savais qu’il fallait que j’y aille. Il aimait à dire “c’est dans ces soirées-là que tout se décide”, j’avais une famille. On se laisse griser, c’est quelqu’un qui a de la prestance, qui aime les belles choses.

Les années passent, le groupe grossit sous la houlette de son leader, s’organise pour mieux concentrer le pouvoir en créant un GIE (groupement d’intérêt économique). Jeanne se sent de plus en plus en décalage. Un divorce affectif qui finira par un divorce tout court, d’autant plus violent qu’il vient après des années d’investissement :

C’est vrai que j’avais ce côté affectif alors je l’ai mal pris, surtout qu’on me disait “mais toi personne ne va te toucher”, peut-être que je l’ai cru. Mais la croissance du groupe fait des dommages collatéraux. Pas mal de cadres ont été licenciés dans les années 2003-2004.

Un point relevé par le rapport de 2005 de l’Inspection générale de la Ville de Paris (IGVP) sur le groupe SOS DI (p. 39, en gras dans le texte) :

170 départs sont intervenus parmi les salariés de SOS-DI en 2003 ; ce qui parait important puisque représentant plus d’un tiers de l’effectif global de l’association dont 18 cadres et 152 non-cadres.

On peut noter que sur ces 170 départs, sans les 99 fins de CDD, le taux de rotation s’établit à 13,9%, et prend en compte : 32 démissions (dont six de cadres), 29 licenciement (dont 7 de cadres), 4 mutations et une seule promotion, sont intervenus pour la seule année 2003.

« Ils n’aiment pas les prud’hommes »

Elle est licenciée pour faute grave, « en quinze jours », et son récit laisse plutôt apparaître des querelles de pouvoir.

Une illustration, selon elle, du décalage croissant entre la salariée et l’entreprise :

J’ai été licenciée parce que je ne convenais plus, des questions d’éthique. Je ne reconnaissais pas la ligne de conduite qu’il avait édicté et qui m’avait intéressé.

On ne trouve pas trace de ce licenciement pour faute grave aux prud’hommes : et pour cause, Jeanne l’a contesté et la procédure s’est terminée avec une conciliation : de guerre lasse, Jeanne accepte quelques dizaines de milliers d’euros et tourne la page. « Ils n’aiment pas les prud’hommes », confie-t-elle.

Étude de satisfaction des salariés

Interrogé sur ce témoignage, Jean-Marc Borello nous a renvoyé à l’étude Sextant de 2009, la troisième de ce type (2007 et 2005), qui fait la synthèse des 1.500 salariés qui avaient répondu au questionnaire, sur 3.000 (taux de réponse de 50,93%, dont 24% pour manque de visibilité sur l’importance de la participation, 22% pour manque absence de problèmes, 19% pour interrogation persistante sur l’anonymat des réponses, 13% pour manque de temps). « Vous avez un point de vue et que là vous en avez 1.500, c’est leur réponse. »

Qu’il y ait un ou dix ou cinquante salariés très mécontents, qui aient été virés, très certainement, si c’est ce que vous cherchez, vu l’angle que prennent vos questions. Franchement, je peux vous garantir que des salariés sont partis mécontents.

Cette étude indiquait que :

- 80% des salariés étaient satisfaits de leurs conditions de travail, soit une hausse de 7% par rapport à 2007.

- 80% étaient satisfaits des relations professionnelles qu’ils trouvent au sein de leur unité de travail, soit 12% de plus qu’en 2007.

- 76% étaient satisfaits de leur responsable hiérarchique direct.

- 68% pensaient qu’il sait motiver l’équipe, soit 10% de plus qu’en 2007

- 68% pensaient qu’il sait régler les conflits internes, soit 13% de plus qu’en 2007.

Lorsque nous lui avons fait remarquer que ce témoignage, par-delà le cas individuel, portait un regard sur l’évolution du groupe, il a répété :

Au bistro à côté, je suis sûr qu’il y a quelqu’un qui a un point de vue de l’évolution du groupe. Vous avez là le point de vue de 1.500 salariés sur le groupe.

De son côté, Jeanne est restée sur des regrets :

Il y a un regret de ce que c’est devenu. Le point de départ, c’est aider les gens dans la précarité. Les usagers et les éducateurs, au fil des ans, j’avais l’impression qu’ils ne représentaient rien pour l’association, il y avait du mépris. Moi j’étais dans les deux, proche du siège social, à l’époque à Saint-Denis, de tous ces gens qui arrivaient, on va regrouper la compta, et j’allais régulièrement sur le terrain, il y avait un décalage énorme entre le terrain et les gens du siège, même en terme de salaire, ça devenait indécent.


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Image de Une, CG94, [cc-by-nc-nd]

  1. le prénom a été changé à la demande de la personne []
  2. cette appellation n’a pas d’existence juridique []

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