La disparition de la race occupe la présidentielle

Le 22 mars 2012

Supprimer le mot "race" du langage de la politique. Pour le philosophe Jean-Paul Jouary, cette mesure est nécessaire. Et la campagne présidentielle gagnerait à s'extraire des débats suscitant la haine. Arguments et motivations avec à la manoeuvre Spinoza et Lévi-Strauss.

Citation : “Rien n’est plus utile à l’homme qu’un homme vivant sous la conduite de la Raison” – Spinoza

Le presque centenaire philosophe et anthropologue Claude Lévi-Strauss avait proposé à l’Académie française de supprimer le mot race du dictionnaire de la langue française, mais de définir bien sûr le mot racisme qui commence justement par la croyance à l’existence de plusieurs races humaines. Et, de fait, si l’on pouvait encore être raciste il y a trente-cinq mille ans puisque se côtoyaient deux races distinctes, les homo sapiens sapiens et les homo sapiens néandertaliens, depuis cette période ancienne on sait qu’il n’y a qu’une race humaine, porteuse d’un patrimoine génétique unique et de différences physiques superficielles qui ne sont guère plus importantes d’une ethnie à l’autre qu’à l’intérieur de chaque ethnie.

C’est bien pourquoi Nicolas Sarkozy avait fait rire son entourage lors de sa visite de la grotte de Lascaux, en s’étonnant que des néandertaliens aient pu avoir tant de talent, alors que jamais cette race hominienne n’a été associée à la moindre œuvre d’art. Être autant inculte quant à ce que sont les humains ne peut bien sûr aider à élever sa pensée lorsqu’on s’adresse à eux.

C’est donc en toute cohérence que François Hollande propose de supprimer le mot race du préambule de l’actuelle Constitution française, après que déjà deux députés, l’un socialiste l’autre communiste, l’ont proposé déjà à l’Assemblée nationale, se heurtant au refus de l’UMP.

Ce serait en effet un acte politique et philosophique fort à l’adresse du monde entier, et une forme digne de rupture avec un passé pas si lointain où le racisme s’affichait de façons grossières. Sait-on par exemple que l’Exposition universelle parisienne de 1889 avait accordé une belle place à des ensembles de familles néandertaliennes sculptées, à l’initiative du Dr Hamy, entre deux exhibitions d’exemplaires vivants de peuples colonisés ?

Il s’agissait en effet de présenter, au pied de la Tour Eiffel puis au jardin zoologique d’acclimatation, des familles arabes, canaques, de Noirs d’Afrique, des exemplaires d’Inde ou de Ceylan et autres Aborigènes ou Lapons, comme autant de témoignages d’une humanité dépassée dont les Européens dérivent, “races” sauvages et barbares précédées elles-mêmes par les gorilles et orang-outang, présentés aussi à l’Exposition de 1889 !

Sait-on aussi qu’Ernest Renan, auteur d’une pieuse Vie de Jésus, en accueillant Ferdinand de Lesseps à l’Académie française, déclarait que ” l’humanité se compose de deux milliards de créatures ignorantes, bornées, avec lesquelles une élite est chargée de faire de la justice et de la gloire “, et appelait par ailleurs à combattre l’Islam ?

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Bref, cette proposition de suppression du mot race de nos textes constitutionnels est une réponse pertinente à quelques discours récurrents qui se propagent autour de ce Président qui confond notre race avec celle des néandertaliens. Après les précédents de messieurs Hortefeux et Guéant, après tout ce que la famille Le Pen a pu déverser depuis quelques années, c’est en effet tout un climat qui tend à se banaliser autour de thèmes xénophobes qui n’étaient qu’honteusement murmurés auparavant par les courants les plus ouvertement racistes.

On parle de référendum contre les chômeurs et les immigrés, de durcissement aux frontières, de reconnaissance anthropométrique sur la carte vitale, de civilisations qui ne se valent pas toutes. Et de viande abattue selon les traditions musulmane et juive, et qu’on nous imposerait insidieusement à notre insu. L’autre conseiller élyséen Henri Guaino parle de refuser qu’une minorité impose cette nourriture à tout le monde, tandis que le Président va se faire applaudir par l’électorat nostalgique de l’Algérie coloniale. Cela fait beaucoup. Et cela menace l’ensemble des citoyens. Pour quelle raison ?

” Il n’est donné dans la nature aucune chose singulière qui soit plus utile à l’homme qu’un homme vivant sous la conduite de la Raison “, écrivait Spinoza dans L’Ethique, et il poursuivait :

Quand chaque homme cherche le plus ce qui lui est le plus utile à lui-même, alors les hommes sont le plus utiles les uns aux autres.

Autre façon de dire qu’une société se porte d’autant mieux que ses citoyens raisonnent en cherchant ce qui est bon pour tout humain. Dès que l’on cesse de chercher son propre bien pour reporter sur la haine de l’autre ses propres maux, passant ainsi de l’amour à la haine et de la raison aux plus instinctives passions, chacun devient nuisible aux autres et à lui-même. Finalement, on ne doit pas regretter que ce débat et ces propositions soient entrés dans le débat électoral : cela peut éclairer violemment la nature de certains choix d’avenir …


NB : Lire par exemple, sous la direction de P.Blanchard, N.Bancel, G.Boëtsch, E.Deroo et S.Lemaire, Zoos humains et exhibitions coloniales, Ed. La découverte, 2002. Ou encore : Culture coloniale, par P.Blanchard et Sandrine Lemaire, Ed.Autrement, 2003. Puis, pour renaître à l’éthique et à la politique, se plonger dans la difficile mais essentielle lecture de L’Ethique, de Spinoza. Quant à l’Eloge de la différence d’Albert Jacquard, il demeure malheureusement d’une étonnante actualité.


Poster-citation par Marion Boucharlat pour Owni /-) Illustration texture par Temari09 (CC/Flickr)

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