Nina Kinert : la Force est avec elle

Le 17 décembre 2010

Nina Kinert fait partie de la jeune garde musicale suédoise. Elle est également fine connaisseuse de l'œuvre spatiale de George Lucas. C'était donc l'occasion de la soumettre à une interview mêlant Star Wars... et musique !

Anastasia Levy est une jeune journaliste spécialisée dans les domaines de la musique, du cinéma et de la culture. Elle collabore notamment à Libération et Usbek & Rica. Vous pouvez la retrouver sur Twitter ici.

Nina Kinert était l’invitée, pour deux soirs consécutifs, d’ÅÄÖ, le festival des musiques actuelles suédoises. L’auteur-compositeur-interprète de 27 ans vient de sortir son quatrième album, Red Leader Dream. Après avoir joué les folkeuses pendant deux albums (« J’étais ce qu’on attendait d’une jeune Suédoise à ce moment-là : une fille, avec une guitare, qui raconte des histoires avec un air grave »), elle semble enfin avoir réalisé l’album qui lui ressemble. Red Leader Dream est censé être…un script audio pour un septième épisode de Star Wars. Largement influencée par la saga de Lucas, qui l’a accompagnée depuis qu’elle est toute petite, Nina Kinert aime profondément son univers, et s’y reconnaît. En musique, elle est marquée par les voix de Kate Bush et Stevie Nicks, et adore la dream pop de Cocteau Twins. Elle voudrait créer un genre musical appelé « science-fictional-fantasy pop ». J’ai donc décidé de lui faire…une interview Star Wars, appliquée à la musique.

Vendredi matin, lendemain de son concert à l’Institut suédois. Quand j’arrive, elle m’attend devant un café. Affable, le sourire aux lèvres, on discute pendant que je m’installe. Nina Kinert ne fait pas la conversation, elle est naturelle : « C’est votre première neige ? Depuis qu’on a commencé la tournée, partout où on passe, on arrive avec la première neige ».
Je lui explique que j’aimerais faire une interview qui prenne en compte son univers. Que j’ai préparé des questions posées par les personnages de Star Wars, s’ils avaient fait partie de l’industrie musicale. De bonne composition, elle me répond :« Ok, cool », sans bien savoir ce qui l’attend.
« On va commencer avec un facile, puisque son statut est le même dans Star Wars et dans l’industrie de la musique… »

Han Solo : Si je peux accéder à des millions de chansons gratuitement sur Internet, pourquoi je paierais pour ? «Tu vois qui je suis ? »

Nina : [Elle rit] Ahah, ok, Han est le pirate !

[Elle comprend tout de suite le principe, et répond instantanément].

Je ne sais pas trop, c’est compliqué, j’aime beaucoup le fait qu’on ait accès à toute cette musique. Mais si on veut continuer à avoir autant d’artistes, un tel choix, il faut trouver un moyen pour les rémunérer… Sûrement un moyen différent de ceux qui existaient jusque-là, mais je ne sais pas lequel ! Je n’ai pas la réponse.

Han : Je crois que personne n’a la réponse, mais pourquoi ce serait à moi d’en payer le prix ? Quand Jabba me demande de l’argent, je n’ai pas l’impression qu’il soit beaucoup plus vertueux que moi…

Nina : Ahah, c’est sûr que Jabba, c’est le plus gros escroc de tous… Mais attends…c’est qui Jabba ? L’artiste ?

Han : Euh non, les majors.

Nina : [Elle rit] C’est vrai que les majors ont bien profité de la situation, des artistes et du public, pendant des années. Mais ça reste difficile pour les petits. Moi, j’ai mon propre label, Ninkina Recordings, et si tout le monde télécharge ma musique…ça va être difficile de continuer. Je peux toujours jouer live, mais ça ne rapporte pas beaucoup.

Jabba The Hut : Je déteste quand Han essaye de m’arnaquer. Mais je me fous de faire ce qui est bien ou pas. Je veux continuer à gagner de l’argent facilement. Tu crois vraiment que vous, les artistes, allez finir par me mettre en échec ?

Nina : Ben je crois que c’est déjà le cas… De plus en plus d’artistes ont leur propre label, je crois que ça ne marche plus si bien pour vous, les majors. Vous survivez, parce que vous aurez toujours les Rihanna, Pink…

Princesse Leïa : Je suis connue, j’ai du talent, et on me respecte. J’ai trouvé une bonne solution, qui respecte mes principes, et mon peuple. Tu ne penses pas que tout le monde devrait prendre exemple sur moi… ?

Nina : Tu es…Radiohead ?

Leïa : Exact. Ou Trent Reznor.

Nina : Oui, l’idée du « pay what you want » est une bonne idée, je ne peux pas le nier. Mais bon, c’est plus facile à faire quand t’es Radiohead que quand t’es Nina Kinert hein. Je ne sais pas trop comment ça marcherait pour des « petits ». Et ça pose la question de la valeur de ce qu’on fait, la valeur de notre musique. Si on a mis du temps à réaliser un album, que vaut-il ? A-t-il une valeur minimum ?

Luke Skywalker : Je suis un peu perdu. J’aimerais faire ce qui est bien, mais je vois bien que c’est plus facile d’opter pour le côté obscur, la solution illégale. Tu aurais un conseil pour moi ?

Nina : Tu es…le consommateur ? Le public ? Quel conseil je pourrais te donner… Je crois que ça n’est pas trop grave de télécharger un album, et si tu l’aimes, de l’acheter ensuite. Et si tu ne l’aimes pas, t’es pas obligé de le crier sur les toits… (elle rit).

Luke : Mais pendant des années, j’ai l’impression que tout le monde m’a menti. On m’a un peu pris pour un idiot non ?

Nina : Pourquoi tu as cette impression ?

Luke : Ben dans les années 90, il y avait cette culture du single par exemple, sur lequel on faisait un effort, pour finalement essayer de te vendre un album avec une seule chanson correcte dessus…

Nina : Oui, c’est possible, mais j’ai l’impression que ça n’est plus tellement le cas. Maintenant, de toute façon, tu peux acheter juste les pistes que tu aimes sur un album…ça change la donne. Et puis tout ça c’est une question de goût. Ça n’est pas à moi de dire, « ça c’est bien » et « ça c’est mal ». Chacun fait selon sa conscience, et les possibilités qu’il a.

Dark Vador : J’ai un pouvoir immense, que j’ai conquis en n’étant pas un modèle de vertu, bien au contraire. Pourtant, plein de gens me suivent, parce que j’ai les gadgets les plus cools [elle acquiesce] et qu’ils ont peur d’être rejetés s’ils prennent une autre voie, tout en sachant que ça n’est pas la meilleure.

Nina : … Je n’ai aucune idée de qui tu es !

Dark Vador : Je suis Steve Jobs…

Nina : Ah ah, c’est vrai qu’il est fort. Il a réussi à instaurer un système, où si tu as ça, tu dois avoir ça, puis ça, puis ça. Et ça a marché, puisque j’ai moi-même un iPod, un MacBook…

Dark Vador : Tu as entendu parler de la licence globale, que j’aimerais mettre en place ? Le client paierait un forfait, et il pourrait télécharger toute la musique qu’il veut.

Nina : Ce serait bien, mais je ne vois pas tellement comment ça pourrait marcher, au niveau mondial, avec tous ces droits différents.
Vous avez Spotify en France ? C’est une très bonne idée, pas assez poussée. Ça reste encore très limité par les accords avec les labels par exemple. Ce serait bien qu’on puisse écouter la même chose partout dans le monde. Mais les artistes sont payés à chaque fois qu’on les écoute, c’est une bonne chose.

La force : Je suis partout. Tu ne peux pas sous-estimer mon pouvoir. Tu peux m’utiliser intelligemment, ou me mépriser, mais je peux t’être d’une grande aide. Je peux avoir une influence énorme…

Nina : Euh… [pas convaincue]… la musique ?

La force : Non, je suis les réseaux sociaux, Internet.

Nina : Aaah. À vrai dire, je n’ai pas de twitter, j’ai facebook et un myspace, comme tout le monde. J’arrive pas trop à être sur Internet tous les jours, ne serait-ce que pour des raisons techniques, en tournée. Ça n’est pas toujours facile d’avoir accès à la force ! Mais quand on y réfléchit un peu, c’est incroyable : le fait de pouvoir interagir avec les gens comme ça. Quand je poste une chanson, un mec à l’autre bout du monde peut l’écouter, et me dire ce qu’il en pense…

Tu as vu le nouveau myspace ? Ce qu’ils ont fait ? Ils essayent d’imiter facebook je crois, mais c’est raté. Ils ont tout mélangé. Hier j’ai essayé d’ajouter une chanson, j’ai pas trouvé comment faire… Bon j’ai pas essayé longtemps, mais avant c’était bien plus intuitif. Sur certaines pages, tu ne retrouves même plus le player…

Obi-Wan Kenobi : Pendant des années, j’étais indispensable, les gens me réclamaient, j’étais là pour eux. Et petit à petit, ils m’ont oublié. Un jour, Luke, nostalgique d’un temps qu’il n’avait pas connu, a décidé de venir me chercher, alors que tout le monde m’avait oublié, que je m’enracinais sur Tatooine.

Nina : [Elle fait un grand sourire] Tu es…le vinyle ? J’adorerais sortir un album en vinyle. Les gens qui achètent des albums ont envie d’acheter de beaux objets, plus que des cds… C’est bien normal. Je pense qu’à l’avenir, il ne restera plus que les fichiers numériques et les vinyles.

Crédits photos : FlickR CC christoph!; djenvert; myrrh ahn

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