Qui sont les jeunes ?

Le 17 décembre 2010

Le concept de “jeunesse” ne va pas de soi, alors qu’elle est au coeur des politiques du même nom. De la sociologie aux politiques publiques, petit itinéraire d’une notion mouvante.

Chômage, discrimination à l’embauche, retraites de plus en plus illusoires, peur du déclassement, précarité, taux de suicide élevé : “la jeunesse” est souvent au cœur des politiques publiques. Pourtant, cette notion n’a jamais été aussi floue.

Si la notion d’enfance apparaît dans le vocable politique et sociologique dès le XIXème siècle, la notion de jeunesse apparaît, elle, beaucoup plus tardivement, un peu avant les années 1950. C’est sous le régime de Vichy que sont mises en places les premières politiques en direction de la jeunesse, qui ont alors pour principal but de l’embrigader dans le régime autoritaire du maréchal Pétain. Mais dès les débuts de la IVe République, la jeunesse se voit dotée de son premier maroquin ministériel, en la personne d’Andrée Viénot, (SFIO) sous-secrétaire d’État à la Jeunesse et aux Sports.

Au fil du temps, trois grandes classifications ont été retenues et ont cohabité dans le lexique politique. On trouve dans un premier temps une classification d’ordre physiologique, où la jeunesse est le moment où le corps se transforme pour devenir celui d’un adulte. Rapidement, cette définition laisse la place à une catégorisation plus institutionnelle, où la jeunesse est une “tranche” de la population française. C’est le type de découpage qui est par exemple retenu par l’INSEE, qui situe les jeunes entre 15 et 24 ans. Cette classification cohabite avec une démarcation plus diffuse, d’ordre plus générale : selon la sociologue de la jeunesse Véronique Bordes, la jeunesse serait considérée par beaucoup comme une période d’“imitation des générations précédentes ou d’expérimentation de nouvelles règles de vie”.

Perception de la jeunesse, jeunesse de la perception

Mais ce sont surtout les médias qui sont à l’origine de la construction des représentations actuelles de la jeunesse. Les années 70-80 marquent une vraie rupture, et la jeunesse est vite perçue comme un vecteur de danger et d’insécurité, tendance renforcée par l’instabilité qui apparaît dans certaines banlieues.

Les représentations de la jeunesse sont alors doubles : elle apparaît d’une part autonomisée de la société des adultes, ce qui engendre des tensions et des affrontements, et d’autre part comme un temps de socialisation et de formation, fortement différencié de celui des adultes, qui s’illustre dans la massification de l’enseignement (objectif d’amener 80 % d’une classe d’âge au baccalauréat, stages Granet pour améliorer la formation professionnelle…).

C’est en fait tout le processus de socialisation qui a été bouleversé, explique encore Véronique Bordes :

Nous sommes passés d’un modèle d’identification à l’adulte par imitation et transmission (la reproduction) à une socialisation dont le processus est continu tout au long de la vie.  Cela suppose une adaptation à une société fragmentée en de multiples micro-mondes sociaux qui ont chacun leurs normes. Aujourd’hui, être socialisé signifie être capable d’avoir accès à des codes de langage, de comportement différents et savoir les utiliser de façon opportune.

“Progressivement, la jeunesse est passée d’un modèle de « l’identification» fondée sur l’héritage, associée à la figure du père, à un modèle de « l’expérimentation » où cette identité se construit au gré des expériences socialesexplique encore la sociologue.

Dans son livre Genèses De L’insertion – L’action Publique Indéfinie paru en 1999, Chantal Guerin-Plantin résume en 4 modèles nos principales représentations de la jeunesse :

  • Une “jeunesse citoyenne” : réplication des principes de la société adulte (partis politiques de jeunes, mouvement de jeunesse…)
  • Une jeunesse “dangereuse et en danger”, à l’origine de la majorité de la délinquance et de la criminalité.
  • Une jeunesse “messianique” : les jeunes sont en rupture avec la société, vecteurs de changement social.
  • Une jeunesse “fragile” : qui doit être protégée par divers mécanismes (censure, justice).

Bien souvent, la notion de jeunesse et la représentation qui en est faite sont trop réductrices, car une telle catégorie sociale homogène n’existe pas. L’enjeu de cette définition est pourtant au cœur des politiques publiques. Et les sociologues sont unanimes : pour repenser les politiques en direction de la jeunesse, il convient de repenser les représentations. Et il y a urgence, car le pessimisme et le mal-être de la jeunesse française sont à leur paroxysme. Olivier Galland, sociologue spécialiste de la jeunesse et auteur de « Les jeunes Français ont-ils raison d’avoir peur? » (éd. Armand-Colin) l’expliquait au Parisien pendant les manifestations contre la réforme des retraites :

Ce sentiment [de pessimisme] est partagé par toute la société française et la mondialisation l’a encore renforcé. Les jeunes sont, en outre, confrontés à un taux de chômage près de deux fois et demie plus fort que celui des adultes et, depuis trente ans, malgré tous ses efforts, la France n’a pas réussi à inverser cette tendance. D’autre part, le marché du travail est organisé autour de la fracture entre CDI et CDD et ce sont les jeunes, chez qui la proportion de CDD est beaucoup plus forte, qui supportent le poids de cette flexibilité. Enfin, en période de crise, ce sont les emplois précaires qui sont touchés les premiers, donc les jeunes sont en première ligne.

C’est également le sens d’une grande étude réalisée en 2008 par l’Express et la Fondation Pour l’Innovation Politique en interrogeant près de 20 000 jeunes de 16 à 29 ans sur trois continents pour connaître leur point de vue sur leur avenir. Le tableau qui y est brossé est très peu reluisant pour la jeunesse française, qui apparaît comme la plus amorphe, la plus inquiète et la plus déprimée des pays étudiés. Les jeunes Français(es) font grise mine face aux Américains ou aux Scandinaves : par exemple, quand 63 % des jeunes Américains sont convaincus que les “gens peuvent changer la société”, seulement 39 % des jeunes Français sont du même avis.

Commentant cette étude, François de Singly, professeur de sociologie à l’Université Paris-Descartes a d’ailleurs cette phrase glaçante :

Parmi tous les pays étudiés, seuls les jeunes Français considèrent que l’obéissance est une valeur plus importante à transmettre à leurs enfants que l’indépendance.

Tout un programme.

Retrouvez l’ensemble de notre dossier sur la jeunesse et découvrez notre sondage autour de l’emploi des jeunes :

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Crédits Photo CC Flickr : Dunechaserbrizzle born and bred, -Charlotte Gonzalez-

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