Crise de la dette: la stratégie de la poussière sous le tapis

Le 24 mars 2011

Le sommet européen qui se réunit en ce moment devrait confirmer la mise en place d'une solidarité financière entre les États. Pourtant, il n'atteindra pas son but : résoudre le problème de la dette souveraine.

Les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne se réunissent ce soir et demain pour acter la mise en place d’un dispositif de solidarité financière entre les États de la zone euro, et ainsi tenter de sortir l’euro de la crise de la dette souveraine.

Et malgré les derniers rebondissements liés à la démission du Premier ministre portugais, tout semble être sous contrôle. Par quelques artefacts financiers, le Portugal devenu insolvable pourra à nouveau s’endetter. Et l’Union européenne aura ainsi “sauvé” le pays de la faillite. Elle aura même sauvé l’euro.

En apparence, tout va bien. Pourtant, la crise de la dette n’a jamais été aussi loin d’être résolue.

Les spéculateurs n’y sont pour rien

Car, contrairement à l’idée que l’on peut se faire au premier abord, il ne s’agit pas d’une “crise financière de plus” dont les méchants spéculateurs seraient coupables.

Ces derniers, de même que les agences de notation, ne font que réagir mécaniquement à la situation catastrophique de certains pays : des pays très endettés dont les déficits chroniques et les faibles espoirs de croissances mettent en doute leur capacité à rembourser la dette qu’ils ont contractée. Et ce d’autant plus que, dans le cadre de l’euro, ces pays se sont formellement interdits de recourir à la planche à billet pour liquider leurs dettes.

La réaction des investisseurs n’est au fond pas très différente de celle du bon père de famille : lorsque le risque est trop fort, il ne prête pas son argent, ou pas à des taux faibles.

On est donc dans une crise bien différente de celles des subprimes qui avait exposé au grand jour les turpitudes du monde de la finance. Cette crise remet en cause les fondamentaux économiques du modèle de croissance des pays développés : l’endettement massif des États pour soutenir la croissance économique.

Cacher la dette sous le tapis

Les institutions européennes n’étaient pas configurées pour faire face à ce cas de figure. Du coup, on bricole des mécanismes dits de “stabilité financière”. Ainsi, plutôt que de s’endetter auprès des marchés, on permet aux États en difficultés (la Grèce, l’Irlande, et bientôt le Portugal) de s’endetter auprès d’un fonds garanti par les autres États européens. Le poids de la dette des États en difficulté est transféré des marchés vers d’autres États qui se financent auprès des marchés. Autrement dit, on cache ainsi la poussière sous le tapis… pour ne surtout pas changer le système.

Et dans leur aveuglement, les dirigeants européens nous vantent ce qu’ils appellent “la solidarité financière européenne” , la bonne santé de l’Allemagne aidant la Grèce et l’Irlande à se sortir du trou. C’est beau.

De quelle solidarité parle-t-on vraiment ?

Malheureusement, cette solidarité a un prix : non pas seulement le taux d’intérêt surévalué qu’il faudra rembourser, mais surtout des plans d’austérité drastiques visant à rétablir l’équilibre des comptes publics. Ce qui semble aller de soi, mais qui en pratique se concrétise par une croissance affaiblie des pays concernés, rendant ainsi encore plus improbable le remboursement de la dette contractée.

Les exemples de l’Irlande et de la Grèce sont frappants. En Irlande, 100.000 personnes ont quitté le pays, faute de perspectives d’emploi, tandis qu’en Grèce, la “génération 500 euros” est dans les rues presque tous les jours pour contester la légitimité de cette dette. Et comme si cela ne suffisait pas, les investisseurs retirent leurs capitaux de ces pays, redoutant une récession économique plus forte encore, voire pire : la faillite des banques.

Alors qu’ils visaient à éviter un défaut des États sur leur dette souveraine, les plans d’austérité accélèrent précisément le processus. L’échec de la réponse européenne est donc prévisible.

« Mais a-t-on vraiment le choix ? »

Telle serait la réponse de Nicolas Sarkozy ou Dominique Strauss-Kahn.

Si les États ne remboursent pas leur dette, leurs créanciers qui sont principalement des banques et assurances, perdraient des sommes colossales ! Et ces banques – qui au passage, détiennent vos avoirs, votre assurance vie etc. – sont déjà pour certaines très fragilisées par la crise des subprimes de 2008. Si bien qu’en cas d’effet boule de neige, le risque systémique d’une banqueroute généralisée n’est pas exclu.

Comble de l’ironie, pendant qu’en Irlande, le nouveau gouvernement remet en cause le plan de sauvetage décidé sous le précédent gouvernement, l’opposition portugaise, elle, rejette un énième plan d’austérité visant justement à éviter l’aide de l’UE et du FMI, pour ne proposer rien d’autre que d’accepter l’aide de l’Union Européenne… et sa contrepartie : l’austérité budgétaire.

Le serpent se mord la queue, et l’absence d’alternatives est affligeante : il faut continuer à renflouer tout le monde… et presser les populations comme des citrons à coup de taxes, pour résorber les déficits…

Il y a des alternatives, explorons les !

Les faits sont pourtant là : la dette est insolvable, les perspectives de croissances sont faibles, et l’austérité ne marche pas. L’Europe est dans l’impasse et nos dirigeants entretiennent le déni en recherchant en vain à éviter à tout prix ce qu’ils considéreraient comme un effondrement du système : les défauts des États.

Le tableau décrit ci-dessus peut paraitre bien pessimiste. Et pourtant, il ne l’est pas tant. Comme le dit le célèbre proverbe Shaddock : « S’il n’y a pas de solutions, c’est qu’il n’y a pas de problème » ou plus précisément : c’est que le problème n’est pas clairement identifié.

Les vraies questions, certains osent pourtant les poser : “Pourquoi faut-il toujours sauver les banques ?” se demandent les citoyens grecs ou irlandais. “Le rôle de la Banque Centrale Européenne est-il correctement calibré ? Pourquoi ne pas créer de la monnaie pour rembourser nos dettes ?” interrogent certains économistes. “Et si la solution, c’était le retour au franc ?” prétendent les souverainistes.

Chez OWNI, ces questions ne nous font pas peur. Mieux : elles nous intéressent. C’est pourquoi nous avons décidé de lancer un projet : une “cellule de crise” visant à informer les citoyens sur cette crise, l’expliquer, et enfin, explorer les alternatives qui existent malgré l’ignorance des politiques et médias mainstream.

Ce projet ce concrétise par l’ouverture d’un blog collaboratif permettant d’allier le savoir-faire de OWNI en terme de journalisme numérique avec l’expertise des contributeurs de la communauté d’OWNI sur les questions économiques et financière.

OWNI se donne ainsi pour devoir de donner la parole à tous ceux qui posent de bonnes questions et proposent des alternatives. Si vous voulez en être, n’hésitez pas à vous signaler !

Illustrations CC European Parliament ; Asteris Masouras ; acb

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